18 mai 2016 3 18 /05 /mai /2016 16:25

Le Japon a renoué avec la croissance au premier trimestre, mais la faiblesse de la progression souligne la petite forme de la troisième économie mondiale, que ne parvient pas à doper la stratégie de relance des « abenomics ». Entre janvier et mars, le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 0,4 % sur un trimestre, après un recul d’autant fin 2015 (– 0,4 %, chiffre révisé négativement), selon les données préliminaires publiées mercredi par le gouvernement. Le Japon évite certes une récession – deux trimestres consécutifs de repli –, mais il n’y a pas de quoi pavoiser, jugent les observateurs. La reprise a été « soutenue par un effet technique en raison de l’année bissextile », explique Kohei Iwahara, analyste de Natixis, tout en prévenant que ces statistiques pourraient être significativement revues lors de la seconde estimation le 8 juin. Les Japonais ont en effet eu un jour de shopping supplémentaire en février, ce qui a tiré la consommation des ménages (+ 0,5 %), principal élément derrière la hausse du PIB au côté de la demande publique et du commerce extérieur. « Même en dehors de ce point, il y a des éléments positifs », note Shotaro Kugo, économiste à l’Institut de recherche Daiwa, citant la reprise des achats de biens durables, tels que les voitures et l’électroménager. Les investissements non résidentiels des entreprises ont en revanche fléchi (– 1,4 %). Les patrons sont réticents à faire des dépenses alors que le yen s’est renforcé depuis le début de l’année et que la demande venue de l’Asie demeure faible.

Face à cette médiocre performance, le gouvernement prépare un nouveau plan de relance, venant s’ajouter à l’enveloppe spéciale de 778 milliards de yens (62 milliards d’euros) adoptée mardi par le Parlement pour soutenir la région de Kumamoto, frappée mi-avril par une série de séismes. Selon des informations de presse, le premier ministre nippon, Shinzo Abe, envisagerait par ailleurs de reporter une impopulaire hausse de la TVA (de 8 à 10 %) – une annonce attendue en amont des élections sénatoriales de l’été –, pour éviter que ne se répète le scénario de 2014 quand un relèvement de 5 à 8 % avait plongé l’économie en récession. Le Japon risque cependant de se heurter à la réticence de certains de ses partenaires soucieux de rigueur budgétaire, Allemagne en tête, qu’il reçoit à partir de vendredi dans la région de Sendai pour un G7 finances, une semaine avant la tenue d’un sommet à Ise-Shima. Si elle agit de la sorte, « l’administration Abe devra rétablir sa crédibilité quant à son engagement » à réduire la colossale dette du pays (près de 250 % du PIB), avertit Tobias Harris, analyste chez Teneo Intelligence. Malgré ses promesses répétées, Shinzo Abe pourrait arguer de la fragilité du redressement du pays pour agir et ainsi donner du temps à la Banque du Japon. Pendant ce temps, celle-ci devrait opter pour le statu quo, et « sauver les rares munitions qui lui restent » après avoir instauré fin janvier les taux négatifs dans l’espoir de stimuler le crédit, estime Natixis.

LE MONDE | 18.05.2016

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18 mai 2016 3 18 /05 /mai /2016 16:23

Par Barry Eichengreen (Professeur d’histoire et des institutions américaines à l’université de Cambridge et professeur d’économie à l’université de Californie à Berkeley)

Il existe un large consensus sur deux faits concernant l’économie chinoise. Tout d’abord, le ralentissement a pris fin et la croissance reprend. Deuxièmement, tout ne va pas bien sur le plan financier. En revanche, il n’y a pas de consensus sur ce qui se passera ensuite…

La bonne nouvelle est que la demande intérieure continue de croître. Les ventes de voitures ont augmenté de près de 10 % en mars par rapport au même mois en 2015. Et les ventes au détail ont augmenté à un rythme annuel de 10 % au premier trimestre.

Néanmoins, l’augmentation la plus spectaculaire concerne l’investissement. L’investissement immobilier se développe à nouveau, après son effondrement en 2015. Les investissements industriels, en particulier des entreprises d’Etat, ont repris fortement.

A l’origine de ce revirement est l’énorme croissance du crédit, liée au fait que les autorités – qui craignaient que le dernier ralentissement ne soit excessif – encouragent fortement les banques chinoises à prêter. Elle a augmenté à un taux annuel de 13 % au quatrième trimestre de 2015 et au cours du premier trimestre de cette année, soit le double du taux de croissance économique annuelle. Depuis l’éclatement de la crise financière en septembre 2008, la Chine a connu la croissance du crédit la plus rapide de tous les pays du monde. En fait, il est difficile d’identifier un autre boom du crédit de cette ampleur dans l’histoire…

La mauvaise nouvelle est que les booms du crédit se terminent rarement bien ! Le tsunami du crédit chinois finance des investissements dans l’acier et l’immobilier, des secteurs déjà accablés par une capacité excédentaire massive. Autrement dit, les entreprises qui empruntent sont précisément celles qui sont le moins capables de rembourser.

Trois solutions, toutes désagréables

Le Fonds monétaire international, qui a tendance à être prudent sur ces questions (en bonne partie pour éviter de se mettre à dos des gouvernements puissants…), estime que 15 % des prêts chinois aux sociétés non financières sont à risque. Alors que la dette aux sociétés non financières s’élève actuellement à 150 % du produit intérieur brut (PIB), la valeur comptable des créances douteuses pourrait atteindre un quart du revenu national ! La concentration des prêts à risque dans l’acier, l’exploitation minière et l’immobilier suggère que les pertes seront considérables.

Voilà pourquoi la solution prétendument indolore d’échanger la dette contre du capital ne sera en fait pas indolore. Certes, les mauvais prêts peuvent être achetés par des sociétés de gestion d’actifs, qui peuvent les combiner à d’autres titres pour les vendre à d’autres investisseurs. Mais si les gestionnaires d’actifs paient la pleine valeur comptable de ces prêts, ils subiront des pertes, et le gouvernement devra payer la facture. S’ils paient la valeur de marché uniquement, ce sont les banques qui subiront des pertes, et le gouvernement devra sauver leurs bilans.

Cela laisse trois options désagréables.

Premièrement, les autorités peuvent émettre des obligations pour lever les fonds nécessaires à la recapitalisation des banques. Mais elles transformeraient alors la dette des entreprises en dette publique, déplaceraient le fardeau financier sur les épaules des contribuables futurs, ce qui n’améliorerait ni la confiance des consommateurs ni celle des investisseurs dans les finances publiques. La dette publique en Chine est encore relativement faible ; mais, comme tout citoyen irlandais peut vous l’expliquer, elle peut gonfler rapidement lorsque surviennent des crises bancaires…

Banques et entreprises zombies

Deuxièmement, la banque centrale pourrait accorder directement des crédits. Mais faire tourner la planche à billets n’est pas compatible avec son autre objectif : un taux de change stable. Nous avons vu en août 2015 comment les investisseurs pouvaient paniquer lorsque le taux de change du renminbi évolue de façon inattendue. Une dépréciation monétaire peut non seulement précipiter la fuite des capitaux, mais encore déstabiliser les banques.

La troisième option est d’attendre que le problème des créances douteuses ne se résolve de lui-même. Les banques seraient encouragées à accorder de nouveaux prêts pour rembourser ceux arrivant à échéance ; les emprunteurs seraient maintenus en vie sous perfusion bancaire. Le résultat est familier aux connaisseurs de la crise bancaire japonaise : des banques zombies prêtant à des entreprises zombies, étouffant la croissance des entreprises viables.

Un financement de la recapitalisation des banques par l’émission d’obligations est probablement la moins mauvaise option. Cela ne signifie pas qu’elle sera indolore. Et rien ne garantit que les décideurs chinois la choisiront. Dans le cas contraire, les conséquences pourraient être désastreuses. (Traduit de l’anglais par Timothée Demont)

LE MONDE ECONOMIE | 18.05.2016

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16 mai 2016 1 16 /05 /mai /2016 16:36

C’est une photo noir et blanc évoquant une scène de la Révolution culturelle. On y voit deux hommes, debout, une pancarte autour du cou. Les yeux baissés, ils sont l’un à côté de l’autre sur l’un de ces camions utilisés à l’époque (dans les années 1960 et 1970) pour exhiber les « tenants de la voie capitaliste », conspués au son des cymbales et des tambours. L’un d’eux est Xi Zhongxun, le père de l’actuel président chinois, Xi Jinping. Sous son cou, la pancarte indique : « A utilisé un roman pour attaquer le Parti ! » Le second est un grand patron de l’immobilier à la retraite et membre du Parti communiste chinois (PCC), Ren Zhiqiang, dont le compte Weibo, l’équivalent chinois de Twitter, a été récemment supprimé, du jour au lendemain. Son erreur : avoir critiqué la tournée de M. Xi auprès des médias officiels en février. Sur sa pancarte, on peut lire : « A utilisé Weibo pour attaquer le Parti ! »

Si le père de Xi, un vice-premier ministre victime d’une purge en 1962 pour avoir défendu un livre de fiction jugé un peu trop ambigu par Mao et décédé en 2002, a bien subi cette humiliation de la part des gardes rouges, la présence de M. Ren a ses côtés est un photomontage. Mais son musellement numérique et sa mise au pilori par la « presse rouge » sont, eux, bien réels.

Période honnie des « années rouges »

Cinquante ans après la Révolution culturelle, cette image qui a circulé sur WeChat – la populaire application de messagerie instantanée – vise à rappeler à Xi Jinping d’où il vient. Elle interroge cet état d’épuration permanente dans lequel le numéro un chinois a plongé la deuxième puissance économique mondiale depuis son arrivée au pouvoir, il y a plus de trois ans (secrétaire général du PCC en novembre 2012, président de la République populaire de Chine depuis mars 2013). Cette instabilité suscite dans les conversations des comparaisons peu flatteuses avec une période honnie, celle des « années rouges » de 1966 à 1976, de son fanatisme idéologique et de ses millions de victimes.

Car un étrange malaise est palpable à Pékin. Il est nourri par la fréquence des arrestations de cadres corrompus ou de dissidents ; par le retour, aussi, d’un culte de la personnalité qui, même à l’heure des réseaux sociaux, rappelle trop de mauvais souvenirs ; par une censure toxique et stérile qui tue l’innovation. La centralisation du pouvoir par Xi Jinping, au lieu d’enfanter un nouveau modèle fondé sur la consommation intérieure et l’innovation promisaprès trente ans de forte croissance, semble ériger une ligne de défense aussi frêle que vaniteuse face à la tourmente économique qui s’annonce.

Alors, la grogne monte sur les vestiges du statu quo brisé de l’ère Deng Xiaoping. Malgré la présence d’un pouvoir autoritaire qui, en 1989, avait réprimé dans le sang le « printemps de Pékin », ce contrat social tacite avait laissé progressivement un espace suffisant pour accommoder les espoirs d’une évolution possible : au PCC le champ politique, à la population la possibilité de s’enrichir et de profiter des bienfaits capitalistes du socialisme aux couleurs chinoises.

« Dabutong » (« Ça ne répond plus »)

A Pékin, nul besoin d’aller très loin pour observer les ruines fumantes de la bataille qui fait rage. Ainsi du Musée Dadu, immense bâtiment aux lignes épurées commandé à la star japonaise de l’architecture Tadao Ando. Construit face au temple de Confucius, dans le nord-est de Pékin, il venait parachever la transformation de ce quartier de hutong (ruelles traditionnelles) en un havre bobo, parsemé de restaurants branchés et de boutiques d’objets vintage.

Mais en ce début de printemps ensoleillé, les portes de ce musée de peintures à l’huile sont closes. Un gardien esseulé s’ennuie dans une guérite. Aucun des grands mandarins de la capitale ne manquait pourtant à son ouverture, il y a trois ans. Or, fin 2015, le responsable de la fondation privée gérant le musée a été emporté dans la chute d’un de ses amis, ponte de la police de la circulation. Ce proche lui obtenait des plaques d’immatriculation réservées aux officiels. Il en fit un trafic. Amateur d’art, le policier fréquentait les galeries et se faisait payer en tableaux. Il a récemment été condamné à la prison à vie. Et le responsable du musée n’est plus joignable sur son téléphone : « Dabutong » (« Ça ne répond plus »), égrène un message.

La Chine est dans l’ère du dabutong, celle de la purge à l’époque du multimédia. Elle est devenue la marque de fabrique du premier mandat de Xi Jinping, qui doit s’achever en 2017, quand, hormis M. Xi et son premier ministre Li Keqiang, cinq des sept membres du comité permanent du bureau politique, le cœur du pouvoir, seront remplacés. Cette échéance favorise les luttes de pouvoir et personne n’est à l’abri. Les alertes téléphoniques envoyées par les sites d’information signalent la nouvelle victime : un « tigre », haut cadre dirigeant, comme (en l’occurrence) Zhou Yongkang, l’ancien responsable de la sécurité sous Hu Jintao (de 2007 à 2012). Ou des seconds couteaux, des « mouches ».

La formulation est au départ toujours la même : « Violation grave de la discipline. » Puis suit, après plusieurs mois de « disparition », une litanie de méfaits agrémentée de quelques « vices », « dépravations » et autres détails croustillants sur les aventures sexuelles, pour la plupart reconnus par leur auteur. Personne ne sort indemne des gardes à vue très spéciales des inspecteurs de la Commission centrale de discipline. Aucun recours n’est possible.

Dans son bilan présenté au Parlement chinois le 13 mars, le procureur général Cao Jianming a rappelé que 22 anciens responsables, de rang ministériel ou au-dessus –membres du comité central, du bureau politique… – ont été poursuivis en 2015. Quinze ont déjà été jugés, dont Zhou Yongkang. Au total, a-t-il souligné, plus de 50 000 officiels ont fait l’objet d’investigations dans le cadre de près de 41 000 cas de corruption. Ce que ne montre pas ce tableau de chasse, c’est que les enquêtes anti-corruption ciblent les maillons faibles, tous ceux qui étaient associés à des corrompus déjà tombés. Et que plusieurs dizaines de suicides sont dénombrés dans les rangs des cadres mis en cause.

En 2012, le Parti est au bord de l’éclatement

Cette campagne extrêmement brutale est née en 2012, au moment de l’accession au pouvoir de Xi Jinping, alors que le Parti était au bord de l’éclatement, mis à mal par le jeu des factions et de la corruption. Bo Xilai, ancien ministre du commerce et chef du PCC à Chongqing, grand rival de Xi et lui aussi fils de révolutionnaire, venait de tomber, soupçonné d’avoir voulu s’emparer du PCC. Cela lui avait valu d’être condamné à la prison à vie pour corruption.

« Sous Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, chacun des neuf membres du Comité permanent était responsable d’un domaine et disposait d’une sorte de droit de veto. Il était devenu impossible de réformer », constate l’intellectuel Wu Si, ancien rédacteur en chef de Yanhuang Chunqiu (« Les annales de l’empereur jaune »), un mensuel d’histoire lié à des personnalités libérales du Parti qui a toujours bénéficié d’une grande liberté. « En raison de l’affaiblissement de l’économie et de l’ampleur de la corruption, il lui fallait accumuler du pouvoir pour mener à bien les réformes. C’est la lutte anti-corruption qui a permis à Xi de le faire. Les gens ont plutôt applaudi, il a fait ce qu’il avait promis, poursuit-il. Mais maintenant, il a viré à gauche, et tout cela sonne creux. Au passage, il s’est aliéné les intellectuels. Les riches émigrent. Cela ne peut pas durer longtemps. »

La principale caractéristique de ce virage idéologique « à gauche » est la référence constante à Mao Zedong, le fondateur de la République populaire de Chine, mort en 1976. Sous Deng Xiaoping, son bilan avait été tiré : « 70 % de bon, 30 % d’erreurs. » Xi, lui, a fait une question de principe de ne pas critiquer le Parti et son legs. Même si son propre père a été victime de Mao, il semble déterminé à sauvegarder l’héritage du Grand Timonier et éviter à tout prix le sort du Parti communiste soviétique après la chute du mur de Berlin en 1989. Décevant ceux qui attendaient de lui un tournant libéral, le numéro un chinois s’est affirmé comme un anti-Gorbatchev. « Xi a toujours été dans le système : il a évolué au sein du Parti en province. Il croit sincèrement ce qu’il dit quand il utilise des termes associés au communisme et à Mao », juge Wu Si.

Culte de la personnalité

En centralisant son pouvoir, Xi Jinping a favorisé un culte de la personnalité 2.0. Dessins animés et chansons sur Youku, l’équivalent de YouTube, ont remplacé les affiches du temps de Mao. Avant le Nouvel An chinois, fin février, les responsables de la propagande du Hunan, une province du centre, ont diffusé en ligne une vidéo intitulée « Je ne sais comment m’adresser à toi ». Inspirée par une visite du président dans le village d’une minorité ethnique, la chanson est digne des œuvres de propagande de la période maoïste : « Nous sommes dans ton cœur et tu es dans le nôtre. Les gens ordinaires t’aiment profondément. Nous t’aimons »… Une autre a également circulé, sur un registre plus intime : « Si je dois me marier, je veux le faire avec un homme comme “Tonton Xi”. »

L’heureuse élue de « Tonton Xi », c’est l’ancienne cantatrice de l’armée et grande vedette en Chine, Peng Liyuan, également mise en avant par la propagande. Xi a fait de son couple un instrument de « soft power ». Il a aussi outrepassé les règles tacites du poste suprême en donnant un rôle à son entourage familial. Comme à l’époque de Mao. La première dame, qui disposerait de son propre bureau au sein de l’appareil d’Etat, surnommé le Peng ban (« bureau de Mme Peng »), a été conseillère en 2015 pour la mise en scène d’un des grands opéras maoïstes, La Fille aux cheveux blancs. Sa fille, sous couvert d’un pseudonyme, fournirait des notes de synthèse sur des sujets liés à l’Internet. Et c’est la sœur de Peng Liyuan qui aurait cette année supervisé le gala télévisé du Nouvel An, rendez-vous incontournable des familles chinoises au réveillon. Or, cette année, les références au Parti communiste et à l’armée ont foisonné, révoltant les internautes.

Une sorte d’état d’urgence

Pour accomplir sa mission, la nouvelle équipe a instauré une sorte d’« Etat d’urgence ». Les voix critiques sont muselées, la société civile est mise dans une camisole de force. Les plus actifs défenseurs des droits des citoyens, comme les avocats qui dénonçaient les excès de la police anti-corruption, ont été neutralisés lors d’une campagne d’arrestations. On en vient même à regretter les années Hu Jintao. Certes, le PCC savait alors mettre au pas ceux qui franchissaient certaines lignes rouges, n’hésitant pas à garder un Prix Nobel de la paix en prison (Liu Xiaobo, arrêté en 2009), mais une certaine marge de liberté existait, notamment dans la presse et l’édition.

« Quand je me suis installé en Chine dans les années 2000, Pékin bouillonnait, raconte l’écrivain hongkongais Chan Koonchung, auteur de plusieurs livres interdits en Chine. Il y avait de nouvelles ONG, des documentaires, de nouveaux magazines, toutes sortes de livres étaient publiés – jusqu’en 2009 environ. Ce fut une période stimulante et excitante. » Dans sa contre-utopie Les Années fastes (Grasset, 2012), écrit en 2009, l’auteur imaginait que le régime reprenait un contrôle complet de la société en 2013, y compris l’Internet, un espace jugé imprenable jusqu’alors. « On m’a critiqué sous prétexte que Weibo [Twitter chinois] avait changé les règles du jeu, que rien ne pouvait plus empêcher les gens de s’exprimer. Or, c’est le contraire qui s’est passé : cette fenêtre s’est fermée, la Chine est de plus en plus un Intranet. » Weibo, muselé, n’est plus que l’ombre de lui-même. Ses usagers ont migré vers ­WeChat, une messagerie moins ouverte, où les groupes sont réservés à ceux que l’on invite.

Les milieux libéraux et pro-démocratie, accusés de rouler pour les « forces hostiles étrangères », font le dos rond. « On sort d’une période où la société civile, grâce à l’économie de marché et aux nouvelles technologies, avait accumulé un certain pouvoir de négociation avec l’Etat-parti. Peut-être était-ce un pouvoir illusoire, mais il existait quand même. Or, celui-ci a commencé à reprendre le contrôle », estime l’essayiste Xu Zhiyuan. Conscient des menaces qui pèsent sur les intellectuels, il s’est converti en entrepreneur de la culture.

Un « BuzzFeed » à la chinoise

Dans son quartier général, un café-librairie situé dans une ancienne bibliothèque de l’est de Pékin, on peut acheter l’édition chinoise du dernier livre de Svetlana Alexievitch, La Fin de l’homme rouge, et siroter un café en écoutant Bob Dylan (un Knockin’on Heaven’s Door du meilleur effet). Deux étages au-dessus, plusieurs dizaines de jeunes pianotent sur des ordinateurs : ils alimentent le fil de deux applications pour smartphone, l’une sur la culture et l’autre sur le divertissement, un « BuzzFeed » à la chinoise. Pas question pour eux de s’approcher de la ligne rouge en ces temps de crispation sécuritaire : « Je ne suis pas un héros », lâche Xu Zhiyuan. Puis, se reprenant : « A quoi sert-il de parler une fois, pour ne plus pouvoir parler du tout ensuite ? » Il est d’ailleurs symptomatique qu’à la fin de chaque interview avec un intellectuel libéral, on nous chuchote : « Adoucissez mes propos. » L’un ajoute : « Sinon, vous ne pourrez plus me rencontrer. »

Pourtant, les méthodes du nouvel empereur rouge en exaspèrent beaucoup. Le patron communiste retraité Ren Zhiqiang a exprimé la colère d’une partie de l’opinion, en déclarant à ses 38 millions de lecteurs sur Weibo que les organes de presse du Parti étaient financés par les contribuables. Et qu’ils devaient donc avant tout « réserver leurs services » à ceux-ci, et non au Parti communiste, comme l’exigeait d’eux Xi Jinping lors de sa tournée dans leurs bureaux. Le « canon » (surnom de M. Ren) s’est retrouvé l’objet de dénonciations dignes de la Révolution culturelle, traité de « capitaliste séditieux » par la presse « rouge ».

Une pétition demandant la démission de Xi

Depuis, plusieurs notes dissonantes ont troublé l’harmonie de la session parlementaire début mars. Le jour de son ouverture, le 3 mars, un site d’information chinois publiait une pétition très argumentée ne demandant rien moins que la démission de Xi Jinping, signée de « membres loyaux du Parti » à l’identité mystérieuse : ceux-ci lui reprochaient son virage gauchiste et autoritaire, et l’abandon de la politique du profil bas dans l’arène internationale, un héritage de Deng Xiaoping. Ce brûlot, qui a fait grand bruit, a conduit à l’arrestation de plusieurs dizaines de personnes, que la police soupçonne d’être liées à sa mise en ligne, dont les proches de plusieurs dissidents en exil.

La même semaine, un journaliste de Chine nouvelle (Xinhua), l’agence de presse officielle, dénonçait, dans une lettre ouverte, « le mépris total de la Constitution et de la loi par certains départements », qui, écrit ce sonneur d’alerte appelé Zhou Fang, « se sont érigés en arbitres de l’opinion publique » : une rare critique des intrusions des cadres de la propagande dans la presse. Le trouble s’est accentué, le 13 mars, quand l’agence officielle a décrit dans une dépêche Xi Jinping comme le « dernier dirigeant chinois » au lieu de « plus haut dirigeant chinois ». Conditionnés à reprendre sans sourciller l’agence officielle, les autres médias ont répercuté pendant une heure cet incroyable lapsus calami.

Le malaise des super-privilégiés

Xi Jinping fait grincer des dents, même dans les rangs des « princes rouges », descendants directs comme lui de révolutionnaires et hauts cadres communistes. Le « clan des princes » est loin d’être homogène : les inclinations politiques vont des maoïstes aux politiquement libéraux, des modérés aux bellicistes. Certains sont de grands patrons du public, d’autres des généraux. Ils ont longtemps tiré d’énormes avantages de leur pedigree et les purges anti-corruption semblent les avoir largement épargnés.

Plusieurs grands argentiers « rouges » à la tête de maisons de courtage et de compagnies d’assurances ont pourtant vu d’un mauvais œil l’obstination du pouvoir à régenter coûte que coûte les indices boursiers, ce qui n’aurait fait, selon eux, qu’aggraver les choses. « C’est la fin de l’hubris », lâche un diplomate occidental. Parmi les jeunes rejetons de l’aristocratie rouge, les procédés de Xi Jinping ont poussé Jasmine Yin, une étudiante chinoise de l’université Columbia, à New York, à publier à l’étranger deux tribunes sur le malaise des super-privilégiés de sa génération : ils sont riches, éduqués et semblent avoir le monde à leurs pieds, mais voient la Chine s’enliser dans des batailles idéologiques d’arrière-garde. Ils se sentent à la fois les bénéficiaires et les otages d’une « machine politique » impitoyable, argumente-t-elle.

Ses propos ont rendu les membres chinois de sa famille (elle est métisse) « furieux », confie Jasmine Yin au Monde dans un courriel. « Il fallait que quelqu’un parle, je l’ai fait ». Son grand-père paternel n’est pas n’importe qui : c’est le maréchal Ye Jianying, un « immortel » de la Révolution chinoise, dont le rôle fut essentiel pour remettre en selle Deng Xiaoping après la Révolution culturelle. Elevée à Shanghaï dans les meilleures écoles, la jeune femme dit mener une existence « qui pourrait paraître un rêve ». « Mais mes pairs et moi ne pouvons cacher notre épouvante face aux évolutions politiques alarmantes qui se passent chez nous, écrit-elle. Xi conduit la Chine vers une direction effrayante, réactionnaire et idéologique ». Si les résistances au sein de la société et du Parti communiste s’intensifient sur fond de lutte de pouvoir, l’homme qui ne veut pas être Gorbatchev ne deviendra peut-être pas un nouveau Mao pour autant.

LE MONDE | 16.04.2016

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16 mai 2016 1 16 /05 /mai /2016 16:29

Le président élu des Philippines, l’avocat populiste Rodrigo Duterte, a déclaré dimanche 15 mai qu’il comptait rétablir la peine de mort et donner aux forces de l’ordre le droit de « tirer pour tuer ».

« Je vais presser le Congrès de rétablir la peine de mort par pendaison », a déclaré Rodrigo Duterte lors d’une conférence de presse à Davao. Le nouveau président veut en effet que la peine capitale, abolie en 2006 sous la présidente Gloria Arroyo, soit rétablie pour des crimes comme le trafic de drogue, les viols, les meurtres et les vols.

Elu le 9 mai sur un programme populiste et après avoir multiplié les propos outranciers, M. Duterte, 71 ans, a également annoncé qu’il donnerait à la police le droit de « tirer pour tuer » lors d’opérations contre des criminels et ceux qui résisteraient par la violence aux arrestations. Des militaires tireurs d’élite seront mobilisés pour tuer des criminels, a-t-il précisé.

Méthodes radicales

Au cours de sa campagne électorale, M. Duterte, qui doit prêter serment le 30 juin pour un mandat de six ans, a promis d’éliminer des dizaines de milliers de criminels, suscitant l’indignation de ses opposants mais séduisant aussi des dizaines de millions de Philippins lassés de la criminalité et de la corruption.

Le président sortant, Benigno Aquino, a répété au cours de la campagne que M. Duterte était un dictateur en puissance, susceptible de soumettre les Philippines au règne de la terreur. Rodrigo Duterte, maire de Davao pendant près de deux décennies, a été accusé d’avoir entretenu des escadrons de la mort dans cette grande ville méridionale de deux millions d’habitants devenue, selon lui, l’une des plus sûres de l’archipel.

Selon des organisations des droits de l’homme, les escadrons, composés de policiers, d’ex-rebelles communistes et d’assassins, ont tué plus de mille personnes, dont des enfants et des petits délinquants.

Le Monde.fr avec AFP | 16.05.2016

http://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/05/16/philippines-tout-juste-elu-president-rodrigo-duterte-veut-retablir-la-peine-de-mort_4920067_3216.html

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14 mai 2016 6 14 /05 /mai /2016 16:34

Excès de zèle, piège politique ou ignorance crasse de la part de ceux qui tiennent les ficelles de la propagande chinoise ? La tenue le 2 mai au palais de l’Assemblée du peuple, sur la place Tiananmen, d’une pièce musicale rendant un hommage marqué à Mao par une troupe de 56 jeunes femmes aux mouvements parfaitement synchronisés nourrit les débats en Chine à l’approche du 16 mai, funeste anniversaire des 50 ans du coup d’envoi de la Révolution culturelle en 1966.

La chorale des « 56 Fleurs » a interprété Pour naviguer en haute mer, il faut un timonier, l’un des chants les plus diffusés pendant la Révolution culturelle. Ses paroles portent inscrites en elles tout le projet totalitaire du maoïsme : « Comme les poissons ne peuvent vivre hors de l’eau, et les melons pousser sans leurs tiges, les masses révolutionnaires doivent s’accrocher au parti », entend-on. Puis, « la pensée de Mao Zedong est un soleil éternel ». A l’effigie guerrière du soleil rouge de Mao projetée sur un écran géant se sont succédé des images de Xi Jinping en tournée au milieu de paysans radieux. Puis a surgi une banderole appelant à « l’union des peuples du monde pour défaire les impérialistes américains et leurs suppôts ». Les « 56 Fleurs », qui appartiennent à l’Académie de l’art et de la culture orientale, ont été décrites comme une « pièce de tissu blanc » que « l’on va teindre en rouge, pour en faire un drapeau patriotique », s’était vanté leur directeur, Chen Guang, au moment de leur création.

Cette résurgence maoïste a fait grincer des dents au sein même de l’aristocratie rouge, dont plusieurs membres, réputés proches de la famille de Xi Jinping, ont ouvertement exprimé leur indignation. Dénonçant un piège tendu à Xi Jinping, Ma Xiaoli, une sexagénaire connue pour ses prises de position libérales, a demandé des comptes, dans une lettre au chef de cabinet du président, qui a circulé sur Internet. Selon elle, le concert du 2 mai est un « incident programmé » qui va à l’encontre de la discipline du parti, écrit-elle, sollicitant « une enquête » autour des organisateurs de l’événement.

« Epée politique »

Mme Ma n’est pas n’importe qui : son père, Ma Wenrui, alors ministre du travail, fut emprisonné pendant la Révolution culturelle pour avoir appartenu à une soi-disant clique formée par Xi Zhongxun, le père de Xi Jinping. Tous deux furent entièrement réhabilités après la mort de Mao. « La Révolution culturelle a été un grand désastre et un gigantesque pas en arrière dans l’histoire chinoise », rappelle-t-elle en référence à la Résolution historique du parti de 1981 qui a officiellement condamné la Révolution culturelle.

Ma Xiaoli s’est affrontée sur Internet avec un maoïste patenté, l’universitaire Zhang Hongliang, pour qui de telles dénonciations de la Révolution culturelle « sont une épée politique que les traîtres et l’extrême droite agitent pour occire notre parti et notre nation ». A quoi Mme Ma a répondu qu’il était un « rejeton cinglé de la bande des quatre ». Plusieurs autres personnalités se sont jointes aux discussions, comme Luo Diandian, fille de Luo Ruiqing, ex-chef de la sécurité publique tombé avec le maire de Pékin, Peng Zhen, lors de la première grande purge du printemps 1966. Mme Luo va bien plus loin que sa camarade, en rappelant les excuses des dirigeants allemands au nom des atrocités de l’Allemagne nazie et en appelant à un accès plus large à la vérité.

Cette flambée inattendue des débats semble avoir pris par surprise la direction, opaque et muette, du régime. L’organisateur officiel du concert du 2 mai s’est empressé de se distancer du promoteur du spectacle en révélant que celui-ci aurait inventé le « bureau de la promotion des valeurs socialistes fondamentales » du Département de la propagande censé avoir donné l’accord du concert. Mais les internautes ont tôt fait de retrouver dans la presse officielle les preuves de la création de ce sous-bureau. Et personne ne peut croire que la police et la censure, au courant de la moindre projection de documentaire indépendant, auraient tout à coup pu être aussi facilement dupées au sein du Palais du peuple…

LE MONDE | 14.05.2016

http://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/05/14/l-anniversaire-de-la-revolution-culturelle-fache-les-princes-rouges_4919700_3216.html

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10 mai 2016 2 10 /05 /mai /2016 16:30

Jusque tard dans la soirée du lundi 9 mai, les chaînes de télévision philippines ont repassé en boucle les images de Rodrigo Duterte, quelques heures avant l’annonce de sa victoire à la présidentielle. En chemise rose, blanc et noir, il votait, le poing levé ; ce même poing qui illustra sur les affiches son programme de campagne : « Frapper fort ». Le candidat populiste, âgé de 71 ans, qui n’a cessé de dénoncer les élites philippines et a promis de lutter contre la délinquance et la corruption avec la manière forte et de s’en débarrasser en six mois, l’a emporté avec près de 40 % de voix et six millions d’avance sur son principal rival, Mar Roxas, soutenu par le président, Benigno Aquino.

« C’est avec humilité que j’accepte le mandat du peuple, a déclaré M. Duterte dans la ville dont il est maire, Davao, dans le sud des Philippines. Ce que je peux vous promettre, c’est que je vais faire tout ce que je pourrai, non seulement le jour mais même pendant mon sommeil. »

La communication enragée de Rodrigo Duterte lui a valu d’être comparé au candidat républicain à l’investiture pour l’élection présidentielle américaine, Donald Trump. Commentant le viol d’une missionnaire australienne en 1989 dans la ville de Davao, qu’il dirigeait déjà à l’époque, le candidat avait affirmé : « Le maire aurait dû passer en premier. »

Petites phrases

Il avait également insulté le pape François, lui reprochant les embouteillages qu’avait causés sa visite en janvier 2015. Chacune de ses petites phrases a allumé un incendie sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, le candidat laissant aux commentateurs politiques le soin de réagir et à ses concurrents, distancés, celui de s’indigner.

A l’automne 2015, lorsqu’il avait annoncé tardivement sa candidature, peu d’observateurs avaient cru à son succès. « Il est arrivé comme un éclair dans le ciel, s’étonne Edna Co, politologue à l’université des Philippines. Les gens peuvent s’identifier à son attitude, à son langage. Il promet de changer les choses à sa manière, selon ses propres règles. »

Rodrigo Duterte se vante d’avoir fait de Davao une ville sûre, alors que les autres centres urbains des Philippines sont connus pour leurs forts taux de criminalité. Les organisations de défense des droits de l’homme rappellent qu’il a, pour ce faire, laissé opérer, voire incité à agir, un escadron de la mort qui a abattu plus d’un millier de personnes, criminels suspectés, mais aussi simples vagabonds.

Au cours de ses meetings, M. Duterte a cependant assuré qu’il garantirait le droit à une procédure judiciaire équitable, tout en lançant dans la foulée : « Les trafiquants de drogue, les kidnappeurs, les voleurs, trouvez-les tous et arrêtez-les. S’ils résistent, tuez-les tous. Allez-y, condamnez-moi pour meurtre, pour que je puisse vous tuer également. »

Vers un système parlementaire

M. Duterte souhaite également en finir avec le régime présidentiel en vigueur dans le pays, inspiré par le modèle américain, pour le remplacer par un système parlementaire au sein d’un Etat fédéral décentralisé, ce qui permettra de donner plus de pouvoir aux provinces. « Cela requerra un large consensus national, qui débutera par un appel au Congrès pour former une assemblée constituante, a souligné mardi 10 mai son porte-parole, Peter Lavina, lors d’une conférence de presse. Une réécriture importante de notre Constitution va avoir lieu. » Ce projet est cohérent avec le discours anti-élites de M. Duterte, car cela permettra de priver Manille d’une partie de ses pouvoirs.

Son porte-parole a également annoncé qu’il instaurerait des négociations de paix avec les rebelles du sud de l’archipel, où le gouvernement sortant a fait usage de la force pour réprimer les militants. Sur le conflit territorial en mer de Chine méridionale qui oppose les Philippines à la Chine, Rodrigo Duterte a affirmé vouloir poursuivre des négociations multilatérales. Le gouvernement sortant de Benigno Aquino avait porté le litige auprès de la Cour internationale de justice de La Haye.

Si, pendant la campagne, le candidat Duterte a promis un mandat « sanglant », et mis en garde le parlement, menaçant d’y envoyer les chars s’il devait entraver son action, il s’est montré plus conciliant mardi, après l’annonce de sa victoire. Il a tendu la main à ses opposants, qui avaient mis en garde contre le retour de la terreur sur l’archipel, « afin que nous commencions maintenant le processus de guérison ».

LE MONDE | 10.05.2016

http://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/05/10/arrive-comme-un-eclair-duterte-s-impose-a-la-tete-des-philippines_4916333_3216.html

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9 mai 2016 1 09 /05 /mai /2016 16:39

Au cours de la dernière session du 7e congrès du Parti du travail, lundi 9 mai, Kim Jong-un, le dirigeant de la Corée du Nord, a été désigné au poste de président du parti, consolidant sa position de dirigeant suprême. La présidence du parti était une fonction qui n’existait pas auparavant. Lorsqu’il succéda à son père, en 2012, Kim Jong-un avait été nommé premier secrétaire général du parti. Le titre de président de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) revenant pour l’éternité à Kim Il-sung (1912-1994) et celui de secrétaire général éternel à Kim Jong-il, le régime a dû trouver un nouveau titre consacrant l’héritier de la lignée des Kim à la tête du régime. Au cours du congrès ont aussi été désignés les membres du comité central et du bureau politique.

La nomination de Kim Jong-un au poste de président du parti était apparemment l’événement le plus important du congrès : tenu à l’écart du Palais de la culture du 25-Avril, où se tenait le conclave, une vingtaine de journalistes étrangers sur les 130 présents à Pyongyang ont été autorisés à assister pendant une dizaine de minutes à l’annonce par le président de l’Assemblée suprême du peuple, Kim Yong-nam, de l’élection de Kim Jong-un. Pour avoir le privilège de pénétrer dans le fastueux palais à la lourde architecture et au sol de marbre gris dont le hall principal drapé de rouge était orné de gigantesques portraits des deux dirigeants morts, ils avaient dû passer une succession de fouilles, à côté desquelles le contrôle de sécurité des aéroports semble bien léger.

Suivi de l’aréopage dirigeant, Kim Jong-un a fait son entrée à la tribune, ovationné de longues minutes par les délégués débout. La clameur des « Manse ! Manse ! » (« longue vie ») s’est poursuivie après qu’il s’est assis. Bien qu’il ait fait signe plusieurs fois à l’assistance de faire de même, personne apparemment ne voulait prendre l’initiative. Ce n’est que le vice-maréchal Hwang Pyong-so, membre du bureau politique de l’armée, qui a donné l’exemple. Puis se sont succédé les interventions prononcées d’une voix gutturale, parfois tremblante d’émotion, trompetant les succès du régime. Des groupes de lycéens sont venus déclamer les félicitations au parti au nom de l’Union des enfants de Corée.

Un journaliste de la BBC retenu à l’aéroport de Pyongyang

Le congrès a désigné les membres du présidium du comité central composé des quatre plus hauts dignitaires du régime après Kim Jong-un : Kim Yong-nam, Pak Pong-ju, premier ministre, Choe Ryong-Hae, secrétaire du comité central, et Hwang Pyong-so. Toutes des personnalités qui sont loin de constituer un rajeunissement au sommet de l’Etat et du parti.

Au cours des trois jours du congrès, Kim Jong-un est apparu comme un dirigeant pleinement aux commandes, à l’origine des orientations politiques et fixant les objectifs. La population mobilisée par dizaine de milliers pour la marche au flambeau qui doit clôturer le congrès a suivi ses travaux à la télévision, repassant en boucle le discours du jeune dirigeant, comme les journalistes étrangers largement cantonnés à la salle de presse de leur hôtel.

Un journaliste de la BBC, Rupert Wingfield-Hayes, qui s’apprêtait à s’envoler pour Pékin, a été retenu à l’aéroport de Pyongyang vendredi et interrogé pendant huit heures, en raison d’un reportage qu’il avait fait avant le congrès, a annoncé le média britannique.

Il arrive que des journalistes étrangers ne soient pas autorisés à retourner en RPDC à la suite d’articles jugés « inexacts » ou « irrespectueux », mais une telle procédure d’interrogatoire est très rare. Rupert Wingfield-Hayes a finalement pu quitter le pays, mais n’y reviendra probablement pas. La BBC avait initialement souhaité tenir secrète cette arrestation et cette décision d’expulsion, pour ne pas compromettre la sécurité du journaliste et de deux de ses collègues, qui avaient refusé de quitter le pays vendredi quand il a été arrêté. Mais cette arrestation a été annoncée lundi par la Commission nationale pour la paix de la Corée du Nord.

LE MONDE | 09.05.2016

http://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/05/09/coree-du-nord-kim-jong-un-elu-president-du-parti-unique_4916028_3216.html

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4 mai 2016 3 04 /05 /mai /2016 16:41

C’est une Asie à deux vitesses que décrit le Fonds monétaire international (FMI) dans la dernière édition de ses Perspectives pour l’Asie et le Pacifique, publiée mardi 3 mai. D’un côté la Chine et le Japon, dont l’économie ralentit. De l’autre, une Inde et une Asie du Sud-Est dynamiques. L’institution, qui veille sur les grands équilibres financiers de la planète, prévoit un taux de croissance pour la région de 5,3 % en 2016 et 2017, contre une précédente estimation de 5,4 %. Depuis ses prévisions d’octobre 2015, les marchés ont subi le contrecoup de l’essoufflement économique chinois et de la dégringolade des cours du pétrole. Des milliards de dollars de valorisation sont partis en fumée.

« L’Asie reste la région la plus dynamique du monde mais elle fait face à de forts vents contraires, dus à la faiblesse de la reprise globale, au ralentissement des échanges mondiaux et à l’impact à court terme de la transition économique chinoise », souligne le rapport. La croissance de la Chine, moteur crucial pour l’économie mondiale, va s’élever à 6,5 % en 2016, et à 6,2 % en 2017. C’est un peu mieux que les prévisions d’octobre 2015, même si elles demeurent largement en deçà des 6,9 % de 2015, le taux de croissance le plus faible en Chine depuis un quart de siècle.

Le Fonds relève que les autorités chinoises s’efforcent de rééquilibrer le modèle économique vers les services et la consommation intérieure. Mais il s’inquiète du niveau élevé des créances douteuses et des remèdes du gouvernement. La presse chinoise a récemment rapporté que Pékin envisageait de convertir une partie des créances qui plombent le bilan des banques en participations dans les entreprises endettées mais aussi de les amalgamer en produits financiers susceptibles d’être revendus.

Autre maillon faible

L’économie japonaise est l’autre maillon faible de la région. Le FMI a réduit de moitié sa prévision de croissance pour 2016, à 0,5 %, et prévoit même un taux de croissance négatif en 2017 (– 0,1 %). Le Fonds cite le problème posé de longue date par une population vieillissante et une dette énorme, mais aussi les difficultés liées au renchérissement du yen, au plus haut depuis dix-huit mois face au dollar.

L’Inde est le pays qui tire le mieux son épingle du jeu avec une croissance qui devrait atteindre 7,5 % cette année et l’année suivante contre 7,3 % en 2015. « Le pays est peu dépendant de la Chine, et peut encore compter sur une main-d’œuvre bon marché », justifie Shang-Jin Wei, l’économiste en chef de la Banque asiatique de développement (BAD). Parmi les pays de l’Asean, l’Indonésie, les Philippines et le Vietnam affichent une croissance particulièrement dynamique, avec des taux respectifs de 4,9 %, 6 % et 6,3 % pour 2016. « Les industriels implantés en Chine délocalisent une partie de leur activité dans ces pays où le coût du travail est bien plus compétitif », explique Shang-Jin Wei. « Pour profiter de cette vague, ces pays doivent cependant moderniser rapidement leurs infrastructures, car le transport des marchandises et l’approvisionnement en électricité demeurent d’importants goulots d’étranglement. »

LE MONDE ECONOMIE | 04.05.2016

http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2016/05/04/le-taux-de-croissance-chinois-tomberait-a-6-2-en-2017-selon-le-fmi_4913688_3234.html

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27 avril 2016 3 27 /04 /avril /2016 16:44

Par Arvind Subramanian (Conseiller économique principal auprès du ministère des finances indien)

Dans un contexte économique maussade, tous les espoirs, mais aussi les craintes, reposent sur la Chine. Il y a des raisons à cela : c’est le seul pays capable de relancer une économie mondiale dont la croissance reste fragile, mais la sienne repose sur une base de plus en plus incertaine.

La taille de l’économie chinoise est telle qu’une crise en Chine aurait des répercussions mondiales. Contrairement à ce qui s’est passé en 2008 quand le dollar s’est apprécié, favorisant ainsi une reprise rapide des marchés émergents, en cas de fort ralentissement de l’économie chinoise, le yuan se déprécierait probablement, provoquant une déflation mondiale.

D’autres devises pourraient être entraînées dans la chute du yuan, parfois à la suite d’un choix délibéré. Un effondrement économique de la Chine pourrait ressembler à la crise des années 1930, avec des dévaluations concurrentielles et le plongeon de l’économie réelle.

Mais que se passerait-il si, à l’inverse, la Chine réussissait sa transition vers un modèle économique tiré par la consommation ? En 2007, son excédent des comptes courants représentait 10 % de son produit intérieur brut (PIB), son épargne plus de 50 % et les investissements plus de 40 %. Ces chiffres paraissaient beaucoup trop élevés en termes d’efficacité économique ou d’amélioration de la protection sociale.

L’épargne nationale a baissé

Un consensus s’est donc rapidement établi sur la nécessité de diminuer l’épargne et les investissements pour parvenir à un meilleur équilibre. Il fallait une plus grande discipline financière pour réduire les investissements destinés aux entreprises publiques gaspilleuses et pour renforcer la protection sociale, de façon à ce que les ménages diminuent l’épargne destinée à l’éducation ou en prévision de leurs vieux jours.

Une décennie plus tard, quel est le bilan ? Comme prévu, l’Etat a amélioré la protection sociale et l’excédent des comptes courants a chuté. En 2015, cet excédent représentait moins de 3 % du PIB, une fraction de ce qu’il était en 2007.

Mais cela ne suffit pas à valider la théorie. Car la moitié de la diminution de l’excédent des comptes courants tient en fait à l’augmentation de la part des investissements dans le PIB. L’épargne nationale a baissé d’environ 3,5 points de pourcentage du PIB par rapport à 2007 (selon les estimations du Fonds monétaire international – les derniers chiffres officiels datent de 2013). Mais cette baisse est modeste comparée à la hausse de 15 points de pourcentage entre 2000 et 2007. De plus, cette modeste diminution de l’épargne tient essentiellement aux entreprises – le taux d’épargne des ménages relativement au PIB n’a guère varié depuis 2007.

Autrement dit, les indicateurs qui étaient à la hausse durant le boom n’ont pas baissé. Il faudrait comprendre pourquoi. C’est une question importante non seulement pour la Chine, mais aussi pour le reste du monde.

Une sombre perspective pour l’économie mondiale

On peut faire deux hypothèses. Il est possible que la théorie soit correcte, mais que sa vérification dans les chiffres nécessite davantage de temps pour porter ses fruits. Dans ce cas, aussi longtemps que les dirigeants chinois continueront à renforcer la protection sociale, la baisse de l’épargne et celle, espérée, des investissements permettront de maintenir l’excédent des comptes courants à un niveau acceptable.

Mais que se passera-t-il si la théorie est fausse ou incomplète ? On a peut-être surestimé les effets de l’amélioration de la protection sociale sur l’épargne ; ou alors, ces effets ont été annulés du fait du vieillissement de la population, qui aura absorbé l’essentiel de l’accroissement du budget social. Au cours des quinze prochaines années, la population chinoise âgée de 60 ans et plus augmentera des deux tiers. Il est possible que les travailleurs vieillissants épargnent au maximum en vue de leur retraite prochaine.

Si ce scénario se réalise au moins en partie, le taux d’épargne des ménages pourrait continuer à diminuer, mais lentement. Pendant ce temps, l’Etat fermerait les usines qui tournent à perte, ce qui se traduirait par une augmentation de l’épargne des entreprises. En conséquence de quoi le taux d’épargne global resterait élevé, même en cas de chute des dépenses d’investissement – d’où une nouvelle hausse de l’excédent des comptes courants.

C’est là une sombre perspective pour l’économie mondiale. Si l’économie chinoise ralentit, il en sera de même de la croissance du monde entier. La demande restante s’adresserait à la Chine, aggravant les difficultés des autres pays.

Ce serait certes très différent de la période précédente, caractérisée par des déséquilibres mondiaux, quand la croissance rapide de la Chine compensait en partie l’énorme excédent des comptes courants du pays. Mais un atterrissage brutal de l’économie chinoise pourrait déclencher une déflation mondiale, tandis que l’absence de déflation pourrait se traduire par un retour aux déséquilibres mondiaux. (Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz)

LE MONDE ECONOMIE | 27.04.2016

http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2016/04/27/et-si-la-theorie-de-la-transition-chinoise-s-averait-fausse_4909563_3232.html

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22 avril 2016 5 22 /04 /avril /2016 16:46

C’est sous couvert de réduction des coûts que la direction du quotidien Mingpao a annoncé, mercredi 20 avril vers minuit, le licenciement de son rédacteur en chef, Keung Kwok-yuen. Depuis sa création en 1959, ce journal est connu comme la référence à Hongkong. Il se démarque par ses enquêtes fouillées et son style soigné. Le journal avait publié la veille un long article sur les personnalités de Hongkong citées dans les « Panama papers ». A la suite de ce licenciement, sept syndicats du secteur de la presse ont exprimé leur indignation dans un communiqué collectif. « Le licenciement de M. Keung est plein d’anomalies », dénonce le texte, selon lequel la direction doit une explication à ses lecteurs et au public.

« Quand on cherche à réduire les dépenses, on ne supprime pas les gens les plus importants d’une organisation », déclare Phyllis Tsang, présidente de l’association des employés du Mingpao. Dès jeudi, les murs du journal ont été placardés des slogans « Pas clair » et « Pas transparent ».

Le principal reproche que l’on puisse faire à Keung Kwok-yuen, en trente ans de métier, semble être son professionnalisme non partisan. Pour beaucoup, ce licenciement est la suite d’une « purge » entamée en janvier 2014, quand le Mingpao avait écarté son directeur de la rédaction, Kevin Lau, un journaliste d’excellente réputation. Il avait été remplacé par un proche du pouvoir central chinois, le Malaisien Chong Tien Siong, parachuté à ce poste sans expérience de Hongkong, au grand dam de la rédaction. Quelques semaines plus tard, Kevin Lau avait en outre été victime d’une attaque au hachoir de boucher. Ses deux agresseurs furent condamnés à 19 ans de prison en août 2015, sans que le commanditaire de cette attaque mafieuse soit identifié.

Colis piégé et détention arbitraire

Après le départ de Kevin Lau, la rédaction du Mingpao s’était reconstruite autour de Keung Kwok-yuen, son ancien numéro deux. Le nouveau patron, Chong Tien Siong, avait déjà imposé des arbitrages pro-Pékin, notamment en modifiant in extremis une « une » sur la répression du 4 juin 1989 de la place Tiananmen, fondée sur des documents confidentiels obtenus par le Mingpao.

« Si l’on ne tolère plus un journaliste aussi modéré et professionnel que M. Keung, que faut-il dire de la liberté de la presse à Hongkong ? », s’interroge le communiqué collectif. La réponse est dans le classement mondial de la liberté de la presse publié cette semaine par Reporters sans frontières (RSF) : de la 18e place en 2002, Hongkong est passé à la 58e en 2013 et à la 70e en 2015. 2016 a vu un progrès d’une place, sans doute lié à l’aggravation plus notoire dans d’autres pays. La Chine, elle, occupe la 176e place sur 180.

Dans une motion présentée au Parlement en mars 2014, la députée du Parti démocratique Emily Lau a cité douze attaques depuis 1996 sur des journalistes d’une grande variété de médias, leurs locaux ou leurs distributeurs : colis piégé, attaques à l’arme blanche, passage à tabac, incendie criminel, cyberattaque, détention arbitraire en Chine. Depuis, de nouveaux incidents sont venus allonger la liste. Le financier et commentateur Edward Chin Chi-kin, très impliqué dans le mouvement « Occupy Central », a vu sa chronique hebdomadaire dans le Hongkong Economic Journal annulée pour cause de nouvelle maquette en septembre 2014.

Les marques n’osent plus placer leurs publicités

En octobre 2014, Jimmy Lai, le patron du groupe de presse Next, ouvertement anticommuniste et pro-démocratie, a été arrosé de plusieurs sacs de viscères avariés d’animaux alors qu’il participait au sit-in du « mouvement des parapluies ». « C’est juste désagréable mais rien de grave », déclarait alors M. Lai. L’imperturbable chantre de la démocratie en a vu d’autres : sa résidence et ses bureaux ont été attaqués en juin 2013 – une machette avait été laissée sur place – et en janvier 2015 – attaque nocturne aux cocktails Molotov.

Outre ce type d’intimidation physique, l’Apple Daily, le premier journal de Hongkong en distribution, dont M. Lai est le fondateur, subit aussi un embargo de toutes les grandes marques, y compris françaises, qui n’osent plus placer leurs publicités dans ses pages de peur de compromettre leurs affaires en Chine. « Nous continuons comme nous l’avons toujours fait. L’embargo est toujours en place », indique Jimmy Lai.

La situation n’est pas meilleure pour la presse anglophone de Hongkong, qui s’est longtemps distinguée en Asie. Depuis le rachat, en décembre 2015, du grand journal South China Morning Post par Jack Ma, le milliardaire chinois fondateur du groupe de commerce en ligne Alibaba, le titre a déjà publié plus de vingt papiers sur son nouveau propriétaire. Jeudi 21 avril, le quotidien lui consacrait toute sa « une ». Cet entretien « exclusif » s’est prolongé le lendemain, à nouveau en première page. Jack Ma y promet une couverture de la Chine qui ne soit « ni positive ni négative » mais « impartiale et équilibrée ».

LE MONDE | 22.04.2016 | Par Florence de Changy

http://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/04/22/menaces-sur-la-liberte-de-la-presse-a-hongkong_4906895_3216.html

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