Voici un article très approfondi sur la stratégie chinoise d'implantation en Afrique, écrit par Chris ALDEN et Ana Christina ALVES sur le site www.cairn.info
Les trente années de croissance ininterrompue qui ont fait de la Chine, jadis économiquement arriérée, la troisième économie mondiale, ont induit une augmentation continue de la demande d’énergie et de nouveaux marchés.
La nouvelle stratégie gouvernementale de « going out », par laquelle, au final, plus d’une centaine d’entreprises publiques ont bénéficié des moyens légaux et administratifs, des accès privilégiés au financement et du soutien diplomatique nécessaires à la pénétration de marchés extérieurs à la Chine, a constitué la réponse politique majeure à ces besoins. Le pays s’est imposé dès 2006 comme le plus grand détenteur mondial de capital, avec plus de deux trillions de dollars US de réserves étrangères. L’utilisation de telles ressources financières pour se positionner sur les marchés de l’énergie et des minerais stratégiques dans un environnement africain dramatiquement en manque de capitaux n’a pas rencontré de grande difficulté. Le gouvernement chinois n’a pas hésité à assortir d’offres visant à satisfaire les besoins définis par l’élite tout accord d’approvisionnement ou de concession d’exploitation, depuis le palais présidentiel jusqu’au projet d’infrastructure de grande envergure, ce qui s’est avéré crucial pour emporter des marchés en Afrique. Enfin, et cela sous-tend toute cette approche, le gouvernement chinois a fait largement savoir qu’il ne s’immiscerait en rien dans les affaires intérieures des gouvernements africains, et ce par opposition à l’Europe et aux Etats-Unis qui ont tous deux soumis à conditions leurs programmes d’aide au développement et même certains investissements. Le succès de la diplomatie chinoise en Afrique se mesure à la présence de la Chine dans la plupart des grandes économies de ce secteur des ressources naturelles : absente du marché des ressources en 1995, la Chine jouit aujourd’hui d’un statut d’acteur majeur, fort de ses concessions pétrolières, de l’Angola au Soudan, et minières, de la République démocratique du Congo (RDC) à l’Afrique du Sud. Son commerce bilatéral avec l’Afrique, qui a atteint 72 milliards de dollars US en 2007, et dépassé 108 milliards de dollars US en 2008, est essentiellement basé sur l’extraction du pétrole, des minerais stratégiques et de quelques matières premières en échange de produits manufacturés.
Dans le même temps, le déclenchement de la crise économique mondiale, la plus grave depuis la Crise de 29, a mis à mal la nouvelle assurance de la Chine dans son engagement en Afrique. Certains voient déjà, dans le repli de dizaines de sociétés chinoises du secteur minier et les efforts de Beijing en vue de rouvrir les négociations sur ses 9 milliards de dollars US d’investissements en RDC, le signe que l’apogée des relations économiques Chine-Afrique a été atteinte. Cette interprétation pessimiste est néanmoins erronée : bien que soumise aux aléas économiques nationaux et internationaux, et à une réévaluation des risques dans certains environnements africains, l’engagement de la Chine en Afrique reste une priorité.
L’engagement chinois en Afrique et la quête d’une sécurisation des ressources
Que les préoccupations de Beijing en matière d’énergie aient joué, depuis le tournant du siècle, un rôle de plus en plus décisif dans l’élaboration de sa politique étrangère n’est ni un secret ni une révélation. En un peu plus d’une décennie, la Chine est passée du statut de plus grand exportateur asiatique de pétrole à celui de deuxième consommateur mondial en 2003, et de troisième importateur mondial en 2004. Ce fait justifie en soi que la sécurité énergétique ait été placée au cœur de la politique étrangère élaborée par Beijing, puisque, ainsi que le soulignent Zweig et Bi Jianhai, non seulement la continuité de la croissance économique de la Chine, mais aussi la paix sociale et, au final, la survie du Parti communiste chinois dépendent de la sécurisation de l’approvisionnement en ressources.
Bien qu’elle compte parmi les producteurs de pétrole les plus importants (4,8 % de la production mondiale) et qu’elle occupe la deuxième place, juste derrière les Etats-Unis, en termes de capacité de raffinage et de production (8,5 % et 8,7 %, respectivement), la Chine ne parvient pas même à fournir la moitié de ses besoins domestiques en pétrole. Plus globalement, le pays comptait pour 9,3 % de la consommation mondiale de pétrole en 2007 (toujours loin derrière les Etats-Unis, premier consommateur mondial de pétrole avec 24 %) et 10,2 % des importations totales de pétrole, en troisième position derrière les Etats-Unis (33,9 %) et le Japon (12,5 %). En Chine, la consommation de pétrole a doublé au cours de la dernière décennie et, selon l’OPEC, la demande chinoise de pétrole affichera le taux de croissance mondial le plus élevé dans les décennies à venir, doublant encore d’ici à 2030 où elle devrait consommer plus de 15 millions de barils par jour. A elle seule, enfin, la Chine compte aujourd’hui pour 30 % de la croissance de la demande mondiale de pétrole.
Bien que la Chine soit devenue un importateur net de pétrole dès 1993, ce n’est que depuis le début du xxie siècle que la sécurité énergétique occupe le cœur du débat politique. Et quoique d’autres sources d’énergie (comme le charbon, le gaz naturel, le nucléaire, l’hydroélectricité et les combustibles alternatifs) sont essentielles à ce débat, le pétrole, désormais la première cause de dépendance de la Chine envers l’étranger, est son principal souci. Si, comme le souligne Erica Downs, la question des années 1990 fut de savoir si Beijing aurait les moyens financiers de sécuriser l’approvisionnement nécessaire en pétrole, celle des années 2000 fut de savoir s’il y aurait assez de pétrole disponible sur le marché international pour approvisionner la Chine. En outre, les inquiétudes concernant l’instabilité croissante au Moyen-Orient plaidaient pour une stratégie de diversification qui, vu leurs complémentarités évidentes, a rapidement placé l’Afrique en tête de liste des nouveaux pays fournisseurs de Beijing. Une certaine inquiétude n’a cessé de s’accroître ces dernières années dans l’élite politique chinoise, comme en témoigne la création, en 2005, du Groupe de direction dans le secteur de l’énergie (organe de coordination dirigé par Wen Jiabao), la publication d’un Livre blanc sur l’énergie en décembre 2007 (Conditions et politiques énergétiques de la Chine) et le Livre blanc sur la diplomatie, publié en juillet 2008, dont le premier chapitre porte sur « Le problème de la sécurité énergétique en période de prix élevés du pétrole ».
Afin de maintenir sa croissance économique, la Chine est devenue également dépendante de l’extérieur dans d’autres secteurs de l’industrie d’extraction que le pétrole, justifiant encore davantage son interaction économique croissante avec le continent africain au xxie siècle. Durant la dernière décennie, la Chine est devenue le plus grand consommateur mondial de la plupart des métaux de base, dépassant ainsi les Etats-Unis. La demande chinoise a crû de plus de 10 % par an depuis 1990, un rythme qui s’est encore accentué ces dernières années et qui est la cause principale de la forte hausse des prix des métaux sur le marché international. La Chine est le plus grand producteur et consommateur mondial d’aluminium, de minerai de fer, de plomb et de zinc, et détient des parts significatives dans tous les marchés de l’offre et de la demande des autres métaux.
Enfin, la sécurité alimentaire elle-même devient un sujet très préoccupant en Chine. Les années de rapide développement économique ont, pour la première fois depuis des décennies, exposé la Chine aux aléas de l’approvisionnement et aux contraintes du marché des produits agroalimentaires. En termes d’importations globales de ces produits, la Chine est en tête du classement régional avec, respectivement, 44 %, 35 %, 20 % et 2,5 % des importations mondiales de graines de soja, de coton, d’huile de palme et de riz, la demande japonaise, indienne et sud-coréenne suivant loin dans son sillage. Les tendances de la consommation en Chine (et dans une certaine mesure en Inde) ont dramatiquement changé depuis l’introduction progressive du capitalisme de marché et, en Chine, la prise calorique totale (2 258 calories dont 423 de viande en 2003) s’est quasiment hissée au niveau américain (2 736 calories dont 446 de viande en 2003). On aurait pu croire que cette hausse de la demande domestique entraînerait des opportunités de développement pour les fermiers chinois et l’agriculture locale. Mais les contraintes physiques de la Chine qui ne possède que 7 % des terres arables mondiales, malgré sa superficie, l’industrialisation rapide et l’urbanisation concomitante des dernières décennies, entraînant le retrait de la production de dizaines de milliers d’hectares de terre fertile, ont conduit à une augmentation régulière des importations de nourriture laquelle, combinée aux besoins énergétiques chinois (et indiens), a fait monter le prix des produits alimentaires. La crainte que l’inflation et l’amenuisement des ressources ne contribuent à des vagues périodiques de troubles intérieurs, commençant alors à gagner du terrain, fut souligné dans un rapport de 2005 du Conseil d’Etat sur la sécurité alimentaire, au moment où la Chine devenait, pour la première fois depuis l’accession au pouvoir du Parti communiste chinois, un importateur majeur de denrées alimentaires. Une préoccupation au nom de laquelle le gouvernement lança sa politique d’approvisionnement à l’étranger, afin de compenser les pénuries attendues, en une quête relativement similaire à celle de l’énergie et des minerais stratégiques entamée au début des années 1990.
L’abondance des ressources africaines
Pour toutes ces raisons, la sécurisation des ressources est devenue pour Beijing une préoccupation centrale de la politique étrangère, l’Afrique jouant à cet égard un rôle critique dans la réalisation des objectifs chinois. Le continent africain est très riche en ressources naturelles (hydrocarbures, minerais et bois) — lesquelles sont largement inexploitées en raison de l’instabilité politique persistante, d’infrastructures médiocres et du manque d’investissements. Néanmoins, l’incursion chinoise dans ce secteur a dû prendre en compte la prédominance d’intérêts établis, principalement ceux des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne, tous reproduisant dans leur modèle d’investissement, à travers la politique de la Guerre froide, les divisions de l’époque coloniale. A la fin du conflit bipolaire, les intérêts économiques se sont rapidement propulsés à l’avant-scène et les sphères d’influence géographiques, qui avaient modelé les investissements dans le secteur de l’énergie, ont fait place à la concurrence directe entre, par exemple, les intérêts américains et français en Afrique de l’Ouest. D’autres grandes puissances ont été attirées dans la région, ainsi l’Allemagne et le Japon, dont les intérêts n’ont cependant jamais menacé les entreprises américaines et françaises déjà implantées. Parmi les nouveaux acteurs importants figurent les Etats asiatiques (Chine, Inde, Malaisie, Singapour) et moyen-orientaux (Israël, Arabie saoudite, Koweït). Un scénario qui présage d’une compétition accrue pour l’influence économique et politique sur le continent dans les décennies à venir et qui, si l’on y réfléchit, est d’autant plus stupéfiant que l’Afrique, il y a moins de dix ans, était encore une économie dormante et souffrait d’un déclin d’intérêt de la part de ses donateurs occidentaux, lassés par des décennies de coopération au développement infructueux.
Du point de vue régional, l’Afrique détient les troisièmes plus grandes réserves mondiales de pétrole avec 9,5 %, estime-t-on, des gisements connus en 2007, derrière le Moyen-Orient (61 %) et l’Amérique du Nord (11, 6 %), et devant l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale (8,5 %). En plus, fait remarquable, l’Afrique affiche le taux de croissance le plus rapide en termes de réserves de pétrole, lesquelles ont doublé ces vingt dernières années. A l’échelle sous-régionale, l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne comptent chacune pour la moitié des réserves connues du continent. La Lybie (35 %), le Nigéria (31 %), l’Algérie (10 %) et l’Angola (8 %) possèdent les plus grandes réserves. Quant à la production, l’Afrique se classe quatrième avec 12,5 % du total mondial, un classement toutefois nuancé grâce au Nigéria, principal producteur de pétrole africain (25 %), à l’Algérie (21 %), la Lybie (20 %) et l’Angola (18 %). Ces dernières années, la production des pays nord-africains semble se stabiliser alors que celle des pays subsahariens a augmenté. Durant la dernière décennie, l’Angola a, par exemple, enregistré le taux de croissance de production le plus rapide, dépassant même, à la mi-2008, le Nigéria en tant que principal producteur de pétrole subsaharien.
Les ressources de l’Afrique en minerais non combustibles complètent ce tableau des plus attractifs, dans lequel l’Afrique du Sud, qui s’étend sur l’un des gisements de minerais les plus riches au monde, apparaît comme le joyau le plus précieux. L’Afrique du Sud est, entre autres, le premier producteur de platine (80 % de la production totale et 90 % des réserves mondiales) et de manganèse (3/4 des réserves de base mondiales), et le deuxième producteur de minerai d’or au monde (dépassée par l’Australie en 2007). La RDC est le premier producteur de cobalt (36 %), dont elle détient la moitié des réserves mondiales connues, mais aussi le premier producteur de diamants (un tiers du total). Ensemble, la RDC, l’Afrique du Sud et le Botswana représentent plus de la moitié de la production mondiale de diamants et 60 % des gisements connus. Parmi les autres pays africains qui possèdent des réserves significatives de minerais ayant récemment attisé l’intérêt chinois, citons le Gabon (manganèse), la Zambie (cuivre et minerai de fer), le Zimbabwe (platine) et l’Angola (diamants, cuivre et minerais de fer).
Tirant partie de leurs complémentarités, la Chine et l’Afrique ont entamé un nouveau chapitre de leurs relations bilatérales, dont la spectaculaire expansion du commerce constitue une donnée majeure, comme l’attestent les récents échanges florissants entre les deux régions. Entre 1995 et 2000, ceux-ci ont plus que doublé, passant de 4 à 10 milliards de dollars US, et quadruplé les cinq années suivantes (42 milliards de dollars US en 2005), les chiffres dépassant les 117 milliards de dollars US en 2008, soit un an avant la cible de 2010 établie par Hu Jintao lors du troisième Forum sur la coopération sino-africaine de Beijing (FOCAC III), en 2006. Une réalité qui s’impose comme l’une des caractéristiques les plus stupéfiantes de la relation sino-africaine. Même si cette dernière ne représente, toutes proportions gardées, qu’à peine 3 % du commerce extérieur total de la Chine, elle affiche le taux de croissance le plus élevé de toutes les régions. Alors que la part de l’Afrique dans les exportations chinoises a crû de 1,7 % en 1996 à 2,7 % en 2006, la part des importations a augmenté de 1 % à 3,6 % pendant la même période — des chiffres révélateurs de la nature des échanges.
Investissements chinois dans le secteur des ressources en Afrique
Quoique la Chine jouisse maintenant d’une présence importante dans le secteur africain des ressources, ses investissement sont distribués de manière inégale sur le continent. Les secteurs clés du commerce et des investissements chinois en Afrique reflètent les intérêts de Beijing en termes de matières premières. Au premier rang de celles-ci, on trouve le pétrole qui représente 80 % de la valeur totale des exportations commerciales entre la Chine et l’Afrique ; viennent ensuite le minerais de fer (5 %), le bois (5 %), le manganèse, le cobalt, le cuivre et le chrome (tous entre 0,5 % et 1 %). Bien que la stratégie chinoise en matière d’importation soit nécessairement globale, l’Amérique latine exportant et fournissant donc à Beijing plus de cuivre et de fer que l’Afrique, la Chine est, dans certains cas, devenue dépendante des exportations africaines de minerais. Celles-ci comprennent le manganèse du Gabon, de l’Afrique du Sud, du Ghana et de la Zambie qui fournissent 40 % des besoins d’importations de la Chine, de même que le cobalt de la RDC et d’autres pays africains, lesquels fournissent aujourd’hui 80 % des besoins chinois. Comme nous l’évoquions plus haut, les investissements chinois dans le secteur des minerais incluent des coentreprises (joint-ventures), mais récemment une nouvelle tendance générale à la fusion et à l’acquisition par des firmes chinoises disposant de fortes liquidités se dessine. D’après un rapport de McKinsey, la Chine a ainsi signé, entre 1995 et 2007, deux grands accords de fusion et d’acquisition dans le secteur minier en Afrique, pour une valeur totale de 3 milliards de dollars US, et cinq autres dans les secteurs pétrolier et gazier pour une valeur de 3,9 milliards de dollars US.
De plus, en raison d’un risque de pénurie d’énergie ayant marqué le début des années 1990, Beijing a entrepris ses premières ouvertures en se concentrant sur un objectif : doter la Chine d’un accès au pétrole africain. Ce sont donc surtout les pays riches en pétrole, comme l’Angola, le Soudan et plus récemment le Nigéria, qui ont, à ce jour, bénéficié des « paniers de mesures » proposés par Beijing et qui lient l’aide et l’investissement chinois à des contrats d’approvisionnement de longue durée — la Chine ne s’étant engagée avec les pays producteurs de minerais comme le Gabon, la Mauritanie et l’Afrique du Sud qu’ultérieurement. Cependant l’annonce, fin 2007, d’un accord d’une valeur de 9 milliards de dollars US avec la RDC, destiné à financer le développement et la réhabilitation des infrastructures en échange de concessions minières, est l’exemple le plus spectaculaire de l’application de cette politique envers un pays non producteur de pétrole. Lorsqu’on ajoute à ceci les accords existants, comme le projet Belinga au Gabon (voir infra) et les négociations en cours entre les officiels chinois et africains, on comprend que le secteur des minerais devrait encore, à l’avenir, bénéficier d’autres d’investissements.
L’Angola fut, en effet, le premier pays africain à signer avec la Chine un accord majeur garanti par des ressources naturelles ; il prévoyait la livraison de pétrole à long terme contre la réalisation d’infrastructures — une formule qui serait bientôt connue sous le nom de « modèle angolais ». D’après le Bureau chargé de gérer les prêts chinois au ministère des Finances angolais, trois accords ont, à ce jour, été signés avec la banque chinoise Exim pour un total de 4,5 milliards de dollars US. Le prêt, qui doit être remboursé sur dix-sept ans après un délai de grâce de cinq ans, au taux d’intérêt Libor + 15%, est garanti par 10 000 barils par jour. Peu de temps après la signature de l’accord avec la banque Exim, en mars 2004, Sinopec a acquis sa première participation dans une concession pétrolière angolaise. La ligne de crédit chinoise est entièrement affectée à des projets contenus dans le programme gouvernemental d’infrastructures publiques. Le 10 avril 2008, le ministre des Finances angolais a annoncé, lors d’une conférence publique sur les relations Angola-Chine, que les deux premiers milliards avaient principalement été dépensés dans des projets liés à l’énergie, l’approvisionnement en eau et l’éducation, ces secteurs ayant bénéficié de 18 % et 20 % du premier crédit.
Parallèlement à ce type de prêts, la Chine propose d’autres opportunités de crédit en Angola via un fonds privé établi à Kong Hong en 2003, le Fonds international chinois (China International Fund — « CIF »). Le CIF a été établi pour faciliter les crédits devant financer les projets du Bureau national de reconstruction angolais (Gabinete de Reconstrução Nacional, GRN), sous la responsabilité directe du Bureau du Président. Dans un communiqué de presse d’octobre 2007, le ministère des Finances a déclaré que le premier prêt, d’une valeur de 2,9 milliards de dollars US, avait été souscrit aux mêmes conditions que le prêt de la banque Exim. D’après la Banque mondiale, le montant total de la ligne de crédit octroyée par le CIF est de 9,8 milliards de dollars US. Le CIF entreprend actuellement, via une série d’organismes parastataux, les travaux publics les plus prestigieux du pays, à savoir les trois lignes de chemin de fer qui rallient les trois ports principaux de la côte (Luanda, Lobito, près de Benguela et Namibe) à l’est du pays. Le chemin de fer de Benguela a initialement été construit au début du xxe siècle par les Britanniques pour relier la région de la « ceinture de cuivre », en RDC et en Zambie, où les Chinois développent actuellement d’importants projets miniers. Les entreprises chinoises réhabilitent également les chemins de fer d’autres pays traversant la Zambie en direction de l’océan Indien et des côtes tanzanienne et sud-africaine (Durban), mais la ligne de Benguela constitue de loin la voie de sortie la plus courte et la plus rapide pour les matières premières. Un embranchement devant relier directement la Zambie au chemin de fer de Benguela, sans passer par le Katanga, est également prévu. Le chemin de fer de Moçamedes relie, pour sa part, le port de Namibe aux provinces riches en minerais : Huila (minerai de fer) et Cuando Cubango (cuivre, minerai de fer, diamants). Les perspectives de nouveaux financements chinois sont prometteuses ; une extension de 6 milliards de dollars US serait en négociation avec la banque Exim, alors qu’en août 2008 la Banque chinoise de développement a signé, à Luanda, un accord-cadre non adossé à du pétrole, pour une extension de 1,5 milliard de dollars US, en vue de contribuer à l’effort de reconstruction et de diversification économique de l’Angola.
L’expérience chinoise au Gabon, qui compte parmi les engagements d’investissements les plus significatifs de la Chine à ce jour, met bien en lumière l’attrait de l’offre chinoise — le « panier de mesures incitatives », tant financières que diplomatiques, en échange de contrats d’approvisionnement à long terme avec les gouvernements africains — et la complexité de la mise en œuvre de tels accords. Au Gabon, petit producteur de pétrole, mais doté de gisements de minerais de fer et de manganèse substantiels et sous-exploités, les Chinois furent activement encouragés par le gouvernement à soumissionner dans le cadre du projet de minerai de fer Belinga, lequel avait été octroyé en sous-traitance à la firme brésilienne CVRD (aujourd’hui Vale). Suite à la visite du président Hu Jintao, l’offre, entièrement chinoise, de la China National Machinery and Equipment Corporation (CMEC) remporta les droits exclusifs du projet Belinga et de sa production, en échange d’un investissement de 3 milliards de dollars US destinés au développement des infrastructures gabonaises, couvert par la banque chinoise Exim. Le projet inclut la construction d’une toute nouvelle ligne de chemin de fer de 560 km, reliant Belinga à la côte (la firme CVRD n’avait offert de construire qu’un tronçon de 200 km), un port minier en eaux profondes pour le transport au nord de Libreville, un barrage hydroélectrique sur la rivière Ivindo et une exploitation minière de fer. Pour le gouvernement gabonais qui, depuis 2005, n’avait tiré du secteur minier que 2 % de son PIB et n’avait en outre jamais fait d’investissements de cette ampleur dans ses infrastructures, l’offre chinoise laissait entrevoir, en cette veille d’élections, de nouvelles sources de revenus et d’opportunités locales d’emploi. Cependant, un groupement d’ONG locales et internationales, relayées par la Banque mondiale, dénonça la nature secrète du contrat, le « contrôle » chinois des ressources naturelles du pays, qu’elles jugeaient préoccupant, et la construction d’un barrage dans un parc national, si bien que la concrétisation de l’accord s’avéra fort délicate. Au final, les Chinois furent contraints de renégocier les termes de l’accord à peine un an après la signature du contrat initial, afin que la participation du gouvernement dans la société devant diriger les opérations et créée à cette fin, la Compagnie minière du Belinga, soit augmentée à 25 %. Suite aux retards pris dans la mise en route du projet, en partie dus à la structure du consortium lui-même, rien ne fut produit. Et les prix, ayant par ailleurs chuté, le projet serait même aujourd’hui, d’après la rumeur, sur le point d’être réévalué dans sa totalité.
Un accord similaire, de type « infrastructures contre ressources », a aussi été signé avec la RDC en septembre 2007. D’un montant de 5 milliards de dollars US, il s’agit du prêt le plus important jamais octroyé par la Chine à un pays africain. D’après le contrat, signé par les deux gouvernements et financé par la banque chinoise Exim, trois milliards de dollars US doivent, dans un premier temps, être alloués à la réhabilitation et à la construction d’infrastructures. Les projets incluent 3 400 km d’autoroutes entre Kisangani, au nord-est, Lubumbashi et Kasumbalesa, à la frontière sud du pays avec la Zambie ; 3 200 km de chemins de fer ralliant la province minière du Katanga au port de Matadi à l’embouchure du fleuve Congo à l’ouest ; 31 hôpitaux, 145 centres de santé, deux universités et 5 000 logements. Les 2 milliards restants devant être débloqués, dans un second temps, pour la réhabilitation des infrastructures minières et l’établissement de coentreprises dans le secteur minier.
Fait remarquable, ce prêt est de loin supérieur à tous les prêts contractés ces dernières années par la RDC auprès de ses donateurs occidentaux. A l’instar des contrats signés avec l’Angola et le Gabon, les modalités de remboursement prévoient des droits sur les ressources naturelles du pays, principalement les concessions minières et forestières, et des accords sur les revenus de péage avec les entreprises chinoises. En janvier 2008, ce prêt a été étendu à 9 milliards de dollars US, 6 milliards étant désormais affectés aux infrastructures et 3 milliards au secteur minier. Fin janvier 2008, un accord entre la société minière nationale congolaise Gecamines, Sinohydro et China Railway Engineering Corporation (CREC) a donné naissance à une coentreprise baptisée Sicomines et détenue, à hauteur de 68 %, par la partie chinoise ; cette coentreprise doit rembourser le prêt des deux volets (« infrastructures » et « mines ») avec les revenus des droits d’exploration de deux concessions de cuivre et de cobalt situées dans la province du Katanga et dont les réserves, estimées à 10 millions de tonnes pour le cuivre et à 2 millions de tonnes pour le cobalt, devraient durer vingt-cinq ans. Sicomines devrait atteindre une production de 400 000 tonnes de cuivre par an dans les cinq prochaines années, un chiffre significatif lorsque l’on considère que la production totale de la RDC fut de 23 030 tonnes en 2007.
Tout d’abord, les revenus de Sicomines seront totalement consacrés au remboursement de l’investissement minier ; ultérieurement, 66 % des revenus seront consacrés au remboursement des investissements infrastructurels, les 34 % restants devant être redistribués aux actionnaires — la coentreprise étant par ailleurs exempte de toute taxe durant les deux phases. L’accord stipule qu’un cinquième seulement des employés peuvent être chinois, qu’un demi-pour cent de l’investissement doit être consacré à la formation du personnel local et au transfert de technologies, que 1 % doit être réservé aux activités sociales, trois autres encore aux coûts environnementaux, entre 10 % et 12 % des contrats devant enfin être sous-traités à des entreprises locales. Néanmoins l’ensemble de ces mesures est actuellement renégocié non seulement suite à la dénonciation des termes de l’accord par l’opposition et par les rebelles, mais aussi après l’effondrement du prix des minerais qui rend ce contrat bien moins intéressant pour la partie chinoise.
Le même type d’investissement conjoint dans les mines et les infrastructures émerge également dans d’autres pays riches en ressources : la Chine a réalisé des investissements majeurs (exploration, production, raffinage, oléoducs) non seulement dans d’autres pays grands producteurs de pétrole et reconnus comme tels, le Soudan (depuis 1998) et plus récemment le Nigéria, mais aussi dans des pays de production plus modeste (Gabon, Congo-Brazzaville) ou plus récente (Guinée équatoriale, Tchad). En outre, Beijing mène des opérations de prospection dans des pays potentiellement producteurs comme l’Ethiopie, le Kenya et São Tomé-et-Principe. Récemment arrivées et encore loin derrière leurs concurrentes occidentales, au plan des technologies et de l’expertise, les sociétés pétrolières nationales chinoises comptent sur cette approche et sur les considérables ressources financières de Beijing pour créer des coentreprises avec les sociétés pétrolières locales et augmenter les parts chinoises dans les puits de pétrole exploités par les sociétés pétrolières internationales.
Bien que toujours marginale par rapport au pétrole, la part de la Chine dans les exportations africaines de minerais a augmenté à un rythme plus élevé ces dernières années. La Chine absorbe actuellement 60 % des exportations africaines de cobalt, 40 % des exportations de fer et de 25 % à 30 % des exportations de chrome, de cuivre et de manganèse. Tandis qu’au Gabon et en RDC les récents investissements miniers doivent encore porter leurs fruits, la Chine est d’ores et déjà un acteur majeur en Zambie, principalement grâce à l’acquisition de 85 % des mines de cuivre de Chambeshi en 1998, l’un de ses premiers investissements miniers à l’étranger. Ces dernières années, la Chine a montré un intérêt croissant pour la « ceinture minière » qui s’étend du sud-est de la RDC et de la Zambie au Mozambique et à la Tanzanie. Contrairement au secteur pétrolier, le secteur minier africain a également attiré des investissements chinois privés, surtout en Zambie où une entreprise chinoise a acheté une mine de manganèse et en RDC où un accord a récemment été signé entre Kinshasa et une société privée de Shanghai (la « Shanghai Pengxin Group Ltd ») — accord qui prévoit d’injecter un milliard de dollars US dans le développement d’infrastructures, l’investissement étant adossé aux revenus des droits miniers de deux concessions (Kamoya et Kambove).
Etant donné la structure de la coopération chinoise au développement et la nature étatique du contrôle des concessions en Afrique, les accords-cadres bilatéraux sont la modalité privilégiée de son engagement — une approche en contraste avec les aspirations africaines persistantes à une intégration économique régionale accrue, et même avec la rhétorique chinoise soutenant cet objectif. L’option bilatérale choisie par Beijing dans sa politique de sécurisation des matières premières a fait l’objet de certaines critiques africaines : la stratégie chinoise ignorerait le souhait des pays africains, pourtant affirmé dans les procédures du NEPAD, d’un développement par la promotion de l’intégration régionale. Depuis le troisième Forum sur la Coopération sino-africaine (FOCAC III) de Beijing, en 2006, la Chine se déclare engagée à soutenir des projets d’infrastructures transrégionaux. Ainsi la Banque chinoise de développement, en tant qu’administratrice du Fonds de développement Chine-Afrique lancé à l’occasion du FOCAC III, a indiqué qu’elle était disposée à soutenir ce type de projets dans la région SADC (Southern African Development Community). Les entreprises chinoises du bâtiment, qui d’abord avaient privilégié les projets financés par le gouvernement chinois, ont étendu leurs activités et s’avèrent aujourd’hui hautement compétitives dans les appels d’offres publics de ce type, et ce y compris à l’échelle transrégionale, gagnant entre 10 % et 20 % de tous les projets d’infrastructures africains de l’Association internationale de développement — un fait révélateur, peut-être, de la volonté chinoise d’ancrer plus profondément sa présence en Afrique.
Un récent rapport de la Banque mondiale sur le rôle de la Chine dans les infrastructures africaines pointe un certain chevauchement entre la répartition géographique des investissements de Beijing dans le secteur des ressources et ses engagements dans le secteur des infrastructures en Afrique, ce qui est en partie justifié par le fait que l’exploration des ressources est, dans la plupart des cas, entravée par un manque ou une insuffisance d’infrastructures. Globalement, la part des investissements chinois dans les infrastructures effectivement liées à l’exploration de ressources ne représente cependant que 7 % du total des investissements de Beijing dans ce secteur en Afrique.
Bien que les entreprises occidentales et locales dominent les secteurs du pétrole et des minerais dans la région, la présence chinoise s’affirme rapidement. Ceci n’est pas sans lien avec le soutien politique et la puissance financière de Beijing qui semblent progressivement compenser les faiblesses chinoises en termes de compétence technique, d’expérience et d’expertise, dans le processus de soumissionnement (par exemple dans le cas du Gabon et de l’Angola évoqué plus haut) par rapport à ses compétiteurs occidentaux. Plus encore, la demande de ces matières premières, toujours plus pressante en Chine, a dynamisé l’exploration non seulement de gisements mineurs moins productifs sur tout le continent, mais aussi celle des réserves inexploitées depuis des décennies en raison de l’instabilité politique ou de coûts prohibitifs liés au manque d’infrastructures et à l’éloignement des réserves. L’arrivée tardive des entreprises chinoises sur le marché semble être plus problématique dans le secteur pétrolier que dans celui des minerais, les sociétés chinoises ayant dû signer rapidement des accords majeurs (par exemple avec le Gabon, la RDC et la Zambie). Ce qui, dans une certaine mesure, peut expliquer que la récession économique semble affecter plus durement les entreprises chinoises du secteur minier que celles du secteur pétrolier.
Enfin, le dernier secteur en date à susciter l’intérêt chinois pour les ressources africaines est celui de l’agriculture. Dans le cadre du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) de Beijing, en 2006, une initiative majeure et inédite a été prise dans le but d’établir dix centres de formation agricole à travers le continent et de pouvoir décupler la productivité totale de l’Afrique. Cependant, suite à l’augmentation des prix de l’énergie et des produits alimentaires en 2007, et à la décision concomitante des pays grands fournisseurs de denrées de base, comme la Thaïlande, de limiter leurs exportations de riz, il est clairement apparu que le marché ne pourrait, à lui seul, satisfaire la demande chinoise. La course aux accords bilatéraux devant sécuriser l’approvisionnement en produits alimentaires, à l’instar de l’accord entre les gouvernements thaïlandais et philippin, récemment révélé, atteste de la sensibilité extrême de ce sujet.
Dans ces circonstances de crise, le recours au marché international et aux stratégies visant l’augmentation de la productivité agricole de l’Afrique est perçu comme insuffisant. Comme dans le cas des stratégies d’acquisition de ressources, Beijing a mis au point un ensemble de mesures financières destinées à encourager l’investissement des entreprises chinoises à l’étranger, notamment dans les entreprises agroalimentaires de régions relativement peu exploitées comme l’Afrique et l’Amérique latine, ce qui pourrait répondre aux besoins de développement de ces pays. Alors qu’ils identifiaient de possibles projets d’investissements, les responsables chinois discutèrent avec divers gouvernements africains de la possibilité de louer des terres arables pouvant être exploitées par des fermiers chinois. Comme dans les projets de bâtiment, la maind’œuvre chinoise s’est avérée être un facteur déterminant de la rapidité de production de résultats ; le chômage touchant les campagnes, la possibilité de louer des terres à des fermiers chinois est donc perçue par les responsables chinois comme une solution adéquate. Li Ruogu, directeur de la banque chinoise Exim, déclarait, dans un discours largement cité, prononcé au cœur de la Chine rurale, en septembre 2007 : « Chongqing jouit d’une expérience significative dans la production agroalimentaire de masse, alors qu’en Afrique cette production est insatisfaisante en dépit de l’abondance de terres. Il y a là d’énormes opportunités de coopération pour les deux parties. Nous avons déjà soutenu plusieurs projets agricoles en Afrique qui ont tous généré des profits considérables. L’exportation de notre main-d’œuvre locale ne fait que commencer et devrait encore s’intensifier lorsque nous aurons convaincu nos fermiers de devenir propriétaires à l’étranger […]. A ceux-ci, la banque accordera un soutien complet en termes d’investissement de capital, de développement de projet et de réseaux de vente pour leur production. » (South China Morning Post, 19 septembre 2007)
Au Mozambique, le gouvernement chinois a ainsi fait pression pour obtenir des baux de longue durée, afin d’établir de gigantesques exploitations agricoles et d’élevages de bétail, pour augmenter la production annuelle, dans le cas de la production rizicole, par exemple, de 100 000 tonnes à 500 000 tonnes. La banque Exim n’est pas la seule à vouloir soutenir les investissements dans l’agriculture. La Banque chinoise de développement, via l’attribution de prêts liés au Fonds de développement Chine-Afrique, lourd de 5 milliards de dollars US, privilégie actuellement les projets agroalimentaires. Bien plus, après la signature d’un protocole d’accord entre la banque Exim et la Banque mondiale en 2007, et suite à l’expansion de l’influence chinoise dans cette institution, la Banque mondiale elle-même a débloqué 6 milliards de dollars US au soutien de programmes agroalimentaires en Afrique.
Les fonctionnaires chinois responsables de cette politique agricole semblent n’avoir pas considéré que l’introduction de fermiers qualifiés en Afrique serait très probablement conversée sur le continent. Des conflits liés à la terre dans des pays aussi divers que le Zimbabwe, le Kenya et la Côte-d’Ivoire témoignent de l’instabilité virtuelle que cette question dans ses multiples aspects, tant commerciaux qu’identitaires, spirituels et idéologiques, provoque en Afrique. Des conflits qui sont de surcroît toujours enchevêtrés à des querelles de nationalité et des flambées xénophobes envers les ressortissants « non authentiques » et qui présagent des difficultés que les colons chinois, ayant embrassé l’agriculture en Afrique, ne manqueraient pas de rencontrer. C’est pourquoi, bien que des investissements classiques dans le secteur agroalimentaire et l’implantation concrète de migrants chinois aient été débattus au Libéria, au Mozambique, en Afrique du Sud, en Angola et au Kenya — et réalisés, sur un mode mineur, en Zambie et en Ouganda —, cette approche chinoise de la sécurité alimentaire semble condamnée à susciter des répercussions négatives au sein de la population africaine, menaçant davantage la capacité de Beijing à consolider sa position sur le continent.
Tourmente économique mondiale et devenir chinois de l’Afrique
En dépit de la récession planétaire, le moteur principal de l’engagement de la Chine en Afrique, à savoir la quête de ressources pouvant alimenter son économie, reste intact. Il s’agit d’une tendance à long terme qui ne devrait pas souffrir de changements majeurs, mises à part les perturbations actuelles, et qui continue d’instruire les décisions stratégiques de Beijing. Les appétits chinois en la matière sont clairement entiers, ainsi qu’en atteste par exemple la frénésie prodigieuse avec laquelle les grandes entreprises chinoises achètent des entreprises à la pointe du secteur des ressources australien. Dans le cas présent, ces entreprises chinoises, qui disposent de capitaux très importants, tirent avantage des malheurs financiers accablant des entreprises australiennes, comme Rio Tinto et Oz Minerals, que leur surexposition a rendues déficitaires et qui ont besoin de substantielles injections de crédits pour pouvoir honorer à court terme leurs obligations. La signature en 2009 d’un accord portant sur un prêt de 10 milliards de dollars US de la Banque chinoise de développement à la firme brésilienne Petrobras, en échange d’un contrat d’approvisionnement à long terme, est une autre indication évidente de la poursuite de l’activisme chinois dans le secteur des ressources. Un activisme alimenté par les confortables réserves financières de la Chine qui, à l’heure où la crise du crédit frappe le reste de l’économie mondiale, lui fournissent des options encore inimaginables, il y a deux ans à peine. Simultanément, une certaine circonspection s’est installée à Beijing, notamment suite aux pertes considérables subies par le Fonds d’Etat qui, au début de la crise économique, s’était empressé d’acheter des actifs financiers occidentaux dont la valeur a ensuite fortement chuté.
En Afrique, cette circonspection se fait sentir dans la modalité désormais plus sélective de l’engagement chinois sur le continent, hier encore destination prisée des firmes chinoises avides de ressources et d’un accès à ses richesses largement inexploitées (énergie, minerais, bois, agriculture). Une réserve est à l’œuvre dans le discours et les décisions de Beijing, et plus particulièrement dans sa politique de différenciation des stratégies à l’égard des économies africaines clés du secteur des ressources, selon que celles-ci bénéficient déjà de larges investissements et engagements financiers chinois ou que leur présence soit limitée. Ainsi, suite aux inquiétudes formulées par le président angolais José Eduardo dos Santos, à l’occasion de déplacements répétés à Beijing au cours des six derniers mois, le gouvernement chinois a dû rassurer les autorités angolaises, affirmant que non seulement la Chine honorerait ses engagements, mais qu’elle entendait également approfondir sa coopération avec Luanda. En revanche, la chute des prix des matières premières a motivé une renégociation des prêts d’investissements d’une valeur de 9 milliards de dollars US, octroyés à la RDC, en échange de gigantesques concessions minières dans ce pays riche en ressources. Le programme de redressement prévu par Joseph Kabila — qui supposait un soutien financier majeur de Beijing pour le développement d’infrastructures dans les secteurs des transports, l’hydroélectricité, la santé, l’éducation et l’assainissement de l’eau — serait, par conséquent, examiné à nouveau.
Nous assistons ainsi, actuellement, à un gel de la production, voire même à un repli, des petites entreprises minières chinoises, aux capitaux et à l’expertise technique limités, dont l’arrivée récente sur la scène africaine des ressources était opportunément liée à la forte augmentation des prix des matières premières. Quarante sociétés minières chinoises se sont retirées du Katanga ou ont suspendu leur production en attendant que le prix des matières premières remonte et que les inventaires soient réalisés en Chine. Une réaction aux fluctuations circonstancielles de l’économie mondiale qui n’est pas propre aux investisseurs chinois et qui reflète plutôt la stratégie générale des firmes occidentales et sud-africaines actives dans les mêmes secteurs.
Un des éléments importants de l’engagement économique chinois en Afrique, souvent négligé, est la possibilité de gagner, par le jeu des mesures incitatives aux sociétés chinoises, tant un accès aux nouveaux marchés qu’une expérience sur ceux-ci. La banque chinoise Exim encourage, par exemple, les investisse-ments chinois dans les secteurs des ressources, de la production agroalimentaire et des infrastructures en Afrique, en ciblant de manière explicite les secteurs bénéficiant d’un soutien financier qui profitent tous également d’un soutien gouvernemental dans les négociations diplomatiques de Beijing avec les gouvernements africains. Les prêts garantis par le gouvernement aux entreprises publiques du secteur des ressources, comme Sinopec, ou des télécommunications, comme ZTE, ou encore aux firmes privées comme HUAWEI, expliquent la percée de ces entreprises sur les marchés spécifiquement africains. Par ailleurs, le soutien du gouvernement chinois à l’expansion en Afrique répond à la surabondance de fermiers et d’entreprises du bâtiment en Chine. Une situation que reflète bien le profil de nombreux ouvriers chinois travaillant dans ce secteur en Afrique : peu qualifiés et recrutés dans des zones rurales reculées. Autant d’éléments attestant que la motivation du gouvernement chinois à poursuivre son expansion en Afrique n’a guère changé.
A la lumière de son exposition grandissante face aux conditions souvent changeantes du continent, la Chine réévalue aujourd’hui les risques qu’elle encourt en Afrique. Alors qu’ils étaient, au début, confiants (ou naïfs) quant à leur capacité de gérer les difficultés ou les menaces éventuelles sur leurs intérêts commerciaux grâce à leur réseau de contacts avec les élites, les entreprises et le gouvernement chinois commencent à reconnaître les difficultés opérationnelles rencontrées en Afrique, notamment dans le domaine des ressources où plusieurs mouvements d’opposition, au Nigéria, en Ethiopie et au Soudan, ont pris pour cible les intérêts chinois dans leurs campagnes antigouvernementales. Les chefs d’entreprises chinois estiment aujourd’hui que le droit des contrats, internationalement reconnu, sécurisera mieux leurs intérêts à long terme que la pratique d’accords nébuleux entre élites chinoises et africaines. A cet égard, le recul du Fonds international chinois (CIF) au profit de la banque chinoise Exim et de la Banque chinoise de développement pour le financement de projets en Angola est révélateur. En effet de nombreux problèmes liés aux difficultés rencontrées par certaines firmes chinoises lors du rapatriement de leurs profits, et à la chute du dollar, ont affecté la viabilité financière globale de l’engagement chinois en Afrique. Les entreprises du bâtiment actives en Angola ont alors tardivement découvert que des restrictions monétaires limitaient les possibilités de rapatriement des profits, tandis que des contrats libellés en dollars grevaient les revenus tant des sociétés que des travailleurs.
Reste que, si la crise économique mondiale a contribué au repli de certaines firmes chinoises, en particulier en RDC, tout comme à la réévaluation globale des risques encourus sur le continent, elle n’a pas entamé l’engagement chinois à long terme en Afrique. Elle a plutôt conduit à une stratégie d’investissement plus prudemment élaborée, prenant davantage en compte les circonstances spécifiques à chaque secteur et de chaque pays où se développent les intérêts chinois. L’appétit de Beijing pour les ressources africaines et pour de nouvelles opportunités de marchés reste entier, et le devenir de l’Afrique semble chaque jour placé davantage sous le signe de la Chine.
http://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2010-1-page-28.htm