27 avril 2016 3 27 /04 /avril /2016 16:44

Par Arvind Subramanian (Conseiller économique principal auprès du ministère des finances indien)

Dans un contexte économique maussade, tous les espoirs, mais aussi les craintes, reposent sur la Chine. Il y a des raisons à cela : c’est le seul pays capable de relancer une économie mondiale dont la croissance reste fragile, mais la sienne repose sur une base de plus en plus incertaine.

La taille de l’économie chinoise est telle qu’une crise en Chine aurait des répercussions mondiales. Contrairement à ce qui s’est passé en 2008 quand le dollar s’est apprécié, favorisant ainsi une reprise rapide des marchés émergents, en cas de fort ralentissement de l’économie chinoise, le yuan se déprécierait probablement, provoquant une déflation mondiale.

D’autres devises pourraient être entraînées dans la chute du yuan, parfois à la suite d’un choix délibéré. Un effondrement économique de la Chine pourrait ressembler à la crise des années 1930, avec des dévaluations concurrentielles et le plongeon de l’économie réelle.

Mais que se passerait-il si, à l’inverse, la Chine réussissait sa transition vers un modèle économique tiré par la consommation ? En 2007, son excédent des comptes courants représentait 10 % de son produit intérieur brut (PIB), son épargne plus de 50 % et les investissements plus de 40 %. Ces chiffres paraissaient beaucoup trop élevés en termes d’efficacité économique ou d’amélioration de la protection sociale.

L’épargne nationale a baissé

Un consensus s’est donc rapidement établi sur la nécessité de diminuer l’épargne et les investissements pour parvenir à un meilleur équilibre. Il fallait une plus grande discipline financière pour réduire les investissements destinés aux entreprises publiques gaspilleuses et pour renforcer la protection sociale, de façon à ce que les ménages diminuent l’épargne destinée à l’éducation ou en prévision de leurs vieux jours.

Une décennie plus tard, quel est le bilan ? Comme prévu, l’Etat a amélioré la protection sociale et l’excédent des comptes courants a chuté. En 2015, cet excédent représentait moins de 3 % du PIB, une fraction de ce qu’il était en 2007.

Mais cela ne suffit pas à valider la théorie. Car la moitié de la diminution de l’excédent des comptes courants tient en fait à l’augmentation de la part des investissements dans le PIB. L’épargne nationale a baissé d’environ 3,5 points de pourcentage du PIB par rapport à 2007 (selon les estimations du Fonds monétaire international – les derniers chiffres officiels datent de 2013). Mais cette baisse est modeste comparée à la hausse de 15 points de pourcentage entre 2000 et 2007. De plus, cette modeste diminution de l’épargne tient essentiellement aux entreprises – le taux d’épargne des ménages relativement au PIB n’a guère varié depuis 2007.

Autrement dit, les indicateurs qui étaient à la hausse durant le boom n’ont pas baissé. Il faudrait comprendre pourquoi. C’est une question importante non seulement pour la Chine, mais aussi pour le reste du monde.

Une sombre perspective pour l’économie mondiale

On peut faire deux hypothèses. Il est possible que la théorie soit correcte, mais que sa vérification dans les chiffres nécessite davantage de temps pour porter ses fruits. Dans ce cas, aussi longtemps que les dirigeants chinois continueront à renforcer la protection sociale, la baisse de l’épargne et celle, espérée, des investissements permettront de maintenir l’excédent des comptes courants à un niveau acceptable.

Mais que se passera-t-il si la théorie est fausse ou incomplète ? On a peut-être surestimé les effets de l’amélioration de la protection sociale sur l’épargne ; ou alors, ces effets ont été annulés du fait du vieillissement de la population, qui aura absorbé l’essentiel de l’accroissement du budget social. Au cours des quinze prochaines années, la population chinoise âgée de 60 ans et plus augmentera des deux tiers. Il est possible que les travailleurs vieillissants épargnent au maximum en vue de leur retraite prochaine.

Si ce scénario se réalise au moins en partie, le taux d’épargne des ménages pourrait continuer à diminuer, mais lentement. Pendant ce temps, l’Etat fermerait les usines qui tournent à perte, ce qui se traduirait par une augmentation de l’épargne des entreprises. En conséquence de quoi le taux d’épargne global resterait élevé, même en cas de chute des dépenses d’investissement – d’où une nouvelle hausse de l’excédent des comptes courants.

C’est là une sombre perspective pour l’économie mondiale. Si l’économie chinoise ralentit, il en sera de même de la croissance du monde entier. La demande restante s’adresserait à la Chine, aggravant les difficultés des autres pays.

Ce serait certes très différent de la période précédente, caractérisée par des déséquilibres mondiaux, quand la croissance rapide de la Chine compensait en partie l’énorme excédent des comptes courants du pays. Mais un atterrissage brutal de l’économie chinoise pourrait déclencher une déflation mondiale, tandis que l’absence de déflation pourrait se traduire par un retour aux déséquilibres mondiaux. (Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz)

LE MONDE ECONOMIE | 27.04.2016

http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2016/04/27/et-si-la-theorie-de-la-transition-chinoise-s-averait-fausse_4909563_3232.html

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