10 mai 2016 2 10 /05 /mai /2016 16:30

Jusque tard dans la soirée du lundi 9 mai, les chaînes de télévision philippines ont repassé en boucle les images de Rodrigo Duterte, quelques heures avant l’annonce de sa victoire à la présidentielle. En chemise rose, blanc et noir, il votait, le poing levé ; ce même poing qui illustra sur les affiches son programme de campagne : « Frapper fort ». Le candidat populiste, âgé de 71 ans, qui n’a cessé de dénoncer les élites philippines et a promis de lutter contre la délinquance et la corruption avec la manière forte et de s’en débarrasser en six mois, l’a emporté avec près de 40 % de voix et six millions d’avance sur son principal rival, Mar Roxas, soutenu par le président, Benigno Aquino.

« C’est avec humilité que j’accepte le mandat du peuple, a déclaré M. Duterte dans la ville dont il est maire, Davao, dans le sud des Philippines. Ce que je peux vous promettre, c’est que je vais faire tout ce que je pourrai, non seulement le jour mais même pendant mon sommeil. »

La communication enragée de Rodrigo Duterte lui a valu d’être comparé au candidat républicain à l’investiture pour l’élection présidentielle américaine, Donald Trump. Commentant le viol d’une missionnaire australienne en 1989 dans la ville de Davao, qu’il dirigeait déjà à l’époque, le candidat avait affirmé : « Le maire aurait dû passer en premier. »

Petites phrases

Il avait également insulté le pape François, lui reprochant les embouteillages qu’avait causés sa visite en janvier 2015. Chacune de ses petites phrases a allumé un incendie sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, le candidat laissant aux commentateurs politiques le soin de réagir et à ses concurrents, distancés, celui de s’indigner.

A l’automne 2015, lorsqu’il avait annoncé tardivement sa candidature, peu d’observateurs avaient cru à son succès. « Il est arrivé comme un éclair dans le ciel, s’étonne Edna Co, politologue à l’université des Philippines. Les gens peuvent s’identifier à son attitude, à son langage. Il promet de changer les choses à sa manière, selon ses propres règles. »

Rodrigo Duterte se vante d’avoir fait de Davao une ville sûre, alors que les autres centres urbains des Philippines sont connus pour leurs forts taux de criminalité. Les organisations de défense des droits de l’homme rappellent qu’il a, pour ce faire, laissé opérer, voire incité à agir, un escadron de la mort qui a abattu plus d’un millier de personnes, criminels suspectés, mais aussi simples vagabonds.

Au cours de ses meetings, M. Duterte a cependant assuré qu’il garantirait le droit à une procédure judiciaire équitable, tout en lançant dans la foulée : « Les trafiquants de drogue, les kidnappeurs, les voleurs, trouvez-les tous et arrêtez-les. S’ils résistent, tuez-les tous. Allez-y, condamnez-moi pour meurtre, pour que je puisse vous tuer également. »

Vers un système parlementaire

M. Duterte souhaite également en finir avec le régime présidentiel en vigueur dans le pays, inspiré par le modèle américain, pour le remplacer par un système parlementaire au sein d’un Etat fédéral décentralisé, ce qui permettra de donner plus de pouvoir aux provinces. « Cela requerra un large consensus national, qui débutera par un appel au Congrès pour former une assemblée constituante, a souligné mardi 10 mai son porte-parole, Peter Lavina, lors d’une conférence de presse. Une réécriture importante de notre Constitution va avoir lieu. » Ce projet est cohérent avec le discours anti-élites de M. Duterte, car cela permettra de priver Manille d’une partie de ses pouvoirs.

Son porte-parole a également annoncé qu’il instaurerait des négociations de paix avec les rebelles du sud de l’archipel, où le gouvernement sortant a fait usage de la force pour réprimer les militants. Sur le conflit territorial en mer de Chine méridionale qui oppose les Philippines à la Chine, Rodrigo Duterte a affirmé vouloir poursuivre des négociations multilatérales. Le gouvernement sortant de Benigno Aquino avait porté le litige auprès de la Cour internationale de justice de La Haye.

Si, pendant la campagne, le candidat Duterte a promis un mandat « sanglant », et mis en garde le parlement, menaçant d’y envoyer les chars s’il devait entraver son action, il s’est montré plus conciliant mardi, après l’annonce de sa victoire. Il a tendu la main à ses opposants, qui avaient mis en garde contre le retour de la terreur sur l’archipel, « afin que nous commencions maintenant le processus de guérison ».

LE MONDE | 10.05.2016

http://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/05/10/arrive-comme-un-eclair-duterte-s-impose-a-la-tete-des-philippines_4916333_3216.html

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