17 janvier 2012 2 17 /01 /janvier /2012 17:52

INTERVIEW - Libération.fr - L’opposante birmane Aung San Suu Kyi évoque la démocratisation du pays et n’exclut pas de devenir ministre.

  "L’enceinte de la célèbre maison coloniale du 54, University Avenue à Rangoun a été refaite à neuf. C’est là, dans ce qui ressemble de plus en plus à un bâtiment officiel où se succèdent les délégations, qu’Aung San Suu Kyi a répondu hier aux questions d’un groupe de journalistes, dont Libération, au moment où le régime civil annonce des réformes sans précédent, comme la libération, vendredi, de plusieurs centaines de prisonniers politiques. A 66 ans, l’opposante birmane estime que sa candidature aux législatives partielles d’avril est le «début» de sa vie politique et n’exclut pas de devenir ministre.
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Pourquoi ces changements interviennent-ils maintenant ?
Ils ont beaucoup à voir avec le président Thein Sein et les autres réformateurs au gouvernement, qui se sont rendu compte qu’il y avait un besoin de changement en Birmanie. L’arrivée du Président au pouvoir [en mars, ndlr] a été l’occasion pour ces dirigeants de défendre les réformes qu’ils souhaitaient réaliser depuis quelque temps. Le désespoir des gens qui se battent au quotidien et qui ont envie de vivre comme des êtres humains a été également une des grandes forces pour un changement dans ce pays.

Ce processus de réformes est-il irrévocable ?
Non, pas encore. Je ne pense pas que nous soyons hors de danger. Nous avons besoin de changements supplémentaires. Je n’utiliserai pas le mot irréversible, parce que rien n’est irréversible.

Quel nouveau geste attendez-vous de Thein Sein ?
Pour le moment, la priorité est de se concentrer sur la paix pour les nationalités ethniques. Nous devons trouver une solution politique à tous ces conflits pour solidifier notre unité, et ne pas nous contenter d’un simple cessez-le-feu.

Faites-vous confiance au Président ?
Je suis convaincue qu’il est sincère, mais je ne mesure pas le soutien dont il bénéficie au sein du gouvernement.

Que vous a dit le président Thein Sein pour que vous lui accordiez désormais votre crédit ?
Nous avons eu une discussion très franche, notamment pour lui faire comprendre qu’il pouvait être difficile pour la Ligue nationale pour la démocratie [LND, le parti d’Aung San Suu Kyi] de coopérer à un processus de démocratisation sans être autorisée. Je lui fais confiance, car il a tenu sa promesse et rendu possible un nouvel enregistrement de notre formation. Nous ne l’avions pas fait pour les élections de 2010, car il y avait plusieurs points de la loi électorale d’alors qui étaient inacceptables.

Pourquoi avez-vous décidé d’être candidate aux élections partielles d’avril ?
Lorsque l’on vit dans une démocratie parlementaire, et c’est le seul type de démocratie possible aujourd’hui, vous devez siéger au Parlement. Je souhaite également travailler avec d’autres parlementaires, y compris ceux des forces armées.

Ces élections seront-elles libres et loyales ?
Oui, je le crois. Il n’y a que 48 circonscriptions à pourvoir dans ces élections. Nous pourrons donc contrôler de près les conditions de vote avec les membres de la LND, les médias et les corps diplomatiques. Et si ce scrutin ne devait pas être libre et loyal, nous le ferions savoir au monde entier.

Au lieu de siéger au Parlement, n’auriez-vous pas plus d’influence en devenant une sorte de conseillère, de femme d’Etat ?
C’est un point de vue très dangereux de croire qu’un politique est trop haut placé pour démarrer à la base de la démocratie parlementaire. Nous devons tous commencer avec au moins le sens de l’humilité si nous voulons bien faire les choses.

 

Travailler et négocier avec les militaires n’est-il pas un jeu risqué ? 

Je ne crois pas du tout qu’il s’agisse d’un jeu, mais plutôt une tâche difficile. Car nous sommes encore en train d’essayer de nous comprendre. Les forces armées ne peuvent pas rester séparées du reste du pays. Elles sont toujours un acteur puissant et c’est pourquoi il est important d’obtenir leur coopération pour parvenir à une vraie démocratisation.

Quel sera le programme électoral de la LND ?
Nous ferons campagne sur la résolution des problèmes avec les ethnies nationales, l’Etat de droit et le nécessaire amendement de la Constitution de 2008. Cela doit s’accompagner de grandes mesures sociales et économiques pour sortir le plus de gens possible de la pauvreté. Nous proposerons notamment des solutions de microcrédit.

Est-il temps de lever les sanctions internationales à l’encontre de la Birmanie ?
Je souscris à l’idée que les sanctions doivent être levées étape par étape, en suivant de près les progrès en cours à l’intérieur du pays.

La Birmanie en a-t-elle fini avec le généralissime Than Shwe, l’ancien homme fort du pays ?
Je crois qu’il ne participe plus à la vie quotidienne du gouvernement, mais je ne peux pas mesurer l’influence qu’il peut avoir sur ses membres. L’armée doit fermement soutenir le processus de démocratisation. Il y a toujours un risque de coup militaire, mais les forces armées doivent être conscientes que nous ne voulons en aucune façon un conflit entre l’armée et le peuple".


http://www.liberation.fr/monde/01012383571-nous-ne-sommes-pas-hors-de-danger

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